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Un coeur si froid

  • Mélanie
  • 12 sept. 2015
  • 4 min de lecture

Titre de la scène : Un cœur si froid

Lieu : Village d'Orcières

Mobile : La toute puissance


Cela fait trois jours maintenant que je fréquente ce club de vacances. Partir fin juin quand les familles ne sont pas encore parties c’est l’idéal. Et puis j’avais un show à Gap, je me suis dit que c’était le moment de profiter un peu. Papa et maman étaient surpris que je parte seule mais je leur ai dit que j’allais voir une amie styliste et qu’elle m’hébergeait. Bien sur cette amie styliste n’existe pas mais elle doit faire partie du décor que j’ai créé. Sa non-existence a une réalité pour certains et c’est bien ce qui compte. Le leurre, l’illusion, la croyance.


Trois jours donc dans ce club de vacances tout confort avec accès à la piscine. C’est justement au bord de la piscine que tout a commencé. Dimanche il y avait peu de monde. Après la soirée à Gap, j’étais crevée mais comme à mon habitude incapable de dormir jusqu’à midi pour faire mes heures de sommeil. 8H38 réveillée, couchée à 4H30 à peu près, le temps de retirer mes bas …


Me voilà donc un peu brouillon, maillot de bain noir et serviette rouge au bord de la piscine. Nous sommes une dizaine de personnes, au calme quand arrive un type avec sa famille et sa fille. Je tends l’oreille pour me rendre compte que la famille parle allemand.


Rapidement la petite famille va dans l’eau. La mère ne semble pas très prête à jouer avec la petite qui s’accroche au cou de son père. Une vingtaine de minutes plus tard alors que je m’assoupis tranquillement, j’entends les cris de l’enfant. Je me redresse sur mon transat comme beaucoup d’autres à la piscine. Plus que des cris, des plaintes teintées d’appels à sa mère.


« Mutti, Mutti »


La petite a peur de ne plus avoir pied et se débat tant bien que mal au milieu de l’eau. Le père est parti. Sa serviette n’est plus là. Elle semble vraiment apeurée et appelle au secours. Tous autant que nous sommes nous regardons la scène sans parler et nos regards se croisent sans que l’on sache quoi faire.


La mère se hâte un peu pour nager jusqu’à l’enfant et semble plus gênée par l’embarras que les cris provoquent plutôt que par la peur de la petite.


Elle la tire par le bras sans ménagement et la petite fille, âgée tout au plus que quatre ans, vole au- dessus de l’eau. La mère la prend contre elle et sans que l’on ait même le temps de s’en rendre compte lui enfonce la tête sous l’eau, ce qui efface les cris de la petite et transforme l’endroit en un lieu soudain empli d’un calme pesant.


Sur le visage de la mère, un sourire de contentement, de soulagement et de toute puissance. Car c’est cela qui m’a décidé : de voir cette mère prendre du plaisir à terroriser sa fille qui se débattait au fond de l’eau.


De longues secondes plus tard, de trop longues secondes, l’enfant réapparait, les bras claquant contre la surface de l’eau et le visage hagard.


La mère ne lui dit rien, ne la prend pas dans les bras, la soulève pour la poser sur le transat à quelques mètres de moi.


L’enfant est blême, les lèvres violettes et sa maigreur devient comme dérangeante.


La mère ne lui dit toujours pas un mot, pas un geste affectueux ni même une caresse et repart tranquillement, sous les yeux de tous, continuer à faire ses longueurs.


L’enfant est posée là, apeurée, les lèvres et jambes tremblantes, les genoux plaqués contre elle. Comme endolorie elle est choquée. Elle ne prononce pas un mot, ne chagrine pas. Elle est muette.


Comme moi, muette. Muette d’effarement à la vue de ce qu’a pu faire la mère.


Pendant près de 30 minutes, la mère a nagé et la petite est restée sur le transat sans bouger ou émettre le moindre son.


Quand la mère l’a rejointe, l’enfant tend les bras vers elle comme pour réclamer un câlin et peut-être se réchauffer enfin contre la peau maternelle. Pour seule réponse, elle obtiendra une gifle magistrale. Magistrale parce que la mère a bien veillé à mettre en scène son geste, regardant si tout le monde l’observait et faisant claquer la paume de sa main comme pour mieux infliger le coup.


Là encore, l’enfant ne dira rien comme soufflée par le choc. Sur les mots de sa mère, elle prend sa serviette Reine des Neiges et la suit. La petite passe près de moi et j’entends pour la première fois ses pleurs étouffés. Sa joue est rouge de douleur.


J’en ai trop vu pendant mon enfance pour ne pas remarquer sur ses cuisses si frêles des brûlures de cigarettes et des marques bleues dans le bas du dos.


Ma décision était prise. Il était temps de réfléchir à la méthode. Les seules choses qui comptaient désormais étaient où et quand.


Je n’avais pas pris mon carnet pendant les vacances ne pensant pas qu’il faille me résoudre à venger quelqu’un.

Je suis donc sortie à la maison de la presse du village et ai acheté un cahier Clairefontaine et un crayon Bic. La commerçante, fort sympathique, me demande si je souhaite le journal du coin. D’un sourire aimable, je lui réponds qu’avec plaisir je vais lire les faits divers dans le Dauphiné Libéré.


Tranquille et pensive, je rejoins mon appartement, me demandant ce qu’un journaliste local écrira sur le meurtre à Orcières.


 
 
 
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