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Chuter



« Anne, Anne ? Ça va ?, me chuchote Claire, posant sa main sur mes cheveux.

  • Oui oui. Pardon. Oh mon Dieu. Je suis terriblement désolée. Oh que j’ai honte.

  • Tu es malade ? Qu’est ce qui ne va pas ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

  • Oh je suis désolée. J’avais mal au ventre et là … je suis désolée. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Pardon, pardon.

  • Non mais ce n’est pas grave. Ça arrive. Arrête de t’excuser. Le tout c’est d’aller mieux. Tu peux te relever ?

  • Oui oui pardon.

  • Voilà. Relève-toi doucement. Appuie-toi sur mon bras.

  • Merci. Merci Claire. Je suis vraiment désolée.

  • Allez ! Tu es toute pâle. Blanche comme un linge. Viens avec moi. Je vais t’allonger dans la salle de repos. »


Lovée dans les bras de Claire, je me déplace difficilement dans le couloir, trainant les pieds. J’ai les yeux qui se voilent, les jambes qui vacillent et la gorge serrée.


Claire est adorable. Elle me porte comme elle peut jusqu’à la salle de repos et m’allonge sur le canapé. Ensuite, je ne sais plus ce qu’il s’est passé pendant quelques dizaines de minutes. Quand je me réveille, je vois la pendule qui affiche 3H56. J’ai donc dormi tout ce temps-là. Je suis seule dans la salle. Je m’assois sur le bord du canapé et tente de reprendre mes esprits.


Incroyable, impensable… moi la tueuse sanguinaire, je viens de vomir avant de tuer ma victime et en plus avec un témoin de ma défaillance. J’ai eu un choc terrible en voyant la photo d’Elisa car je fais tout cela pour elle. Pour la venger. Pour la rendre de nouveau vivante.


Je ne dois pas me détourner de ma mission. Pour elle, pour moi, pour nous.


Je me relève doucement en posant les mains sur mes hanches et en m’étirant tel un chat qui a trop dormi.


Lisa n’est pas Anne. Ce n’est pas cette jeune fille fragile, sensible jusqu’au bout des ongles. Non ! Lisa est une guerrière qui suit son code de valeurs, son bushido, jusqu’à la mort. Pauline est un assassin, une meurtrière d’enfant qui ne mérite pas de vivre quand sa fille, elle, ne peut plus voir les couleurs de la vie. Pauline doit payer comme les autres, comme ceux qui ne respectent ni femme, ni enfant, ni famille.


Je touche avec lasciveté et plaisir mon wakizashi maintenant sous mon pantalon. Heureusement Claire ne m’a pas auscultée et déshabillée sinon j’aurai été prise à mon propre piège. Le sentir là, tout contre moi, appuyer sur la lame pour sentir sa froideur, me rappelle combien je suis une tueuse et que je suis née pour venger.


J’hésite à attendre le retour de Claire ou à me lever pour aller à sa rencontre. Finalement je n’aurais pas le temps pouvoir y réfléchir longtemps puisque j’entends le chariot de médicaments qui s’approche. Je me lève tandis qu’elle entre dans la pièce. Et arrache mon collier pour le glisser dans la poche de ma blouse.


« Comment vas-tu ? Ça va mieux ?

  • Oui. Je ne sais quoi te dire Claire. Je suis sincèrement désolée d’avoir été malade ainsi.

  • Mais tu vas mieux ?

  • Oui oui. Je vois que j’ai dormi longtemps. Je suis confuse. J’ai terriblement honte. Je te demande pardon.

  • Mais arrête un peu Anne. Ça va. Ce n’est pas grave. Ça arrive d’être malade. A mon avis c’est un truc que t’as mangé et qui n’est pas passé. Et puis t’as assuré… t’as pas vomi dans la chambre mais devant !, me dit-elle en rigolant.

  • Oh la honte !

  • Allez ça restera entre nous. Personne n’a besoin de savoir.

  • Mais cela remet en cause mon stage non ?

  • Bah et pourquoi ? Un poisson pas frais ne va sûrement pas freiner ta belle carrière en psychiatrie !

  • C’est gentil. Tu me fais rire.

  • Le rire est le remède contre tous les maux, ma jolie. Allez, déjà tu as meilleure mine. Tu veux venir avec moi préparer les petits déjeuners et le matériel pour les toilettes ? ou tu préfères continuer à te reposer ?

  • Non, non, j’ai déjà assez honte comme cela. Je t’accompagne. Je vais mieux.

  • Ok. Alors attends avant de partir dans la réserve, on va prendre les bannettes avec les consignes des médecins pour voir s’il y a des changements spécifiques. Hop le voilà. Allez, on est parties jeune fille. Je suis rassurée que tu ailles mieux. »


Nous voilà parties toutes les deux dans la réserve où nous préparons pour chacun des patients l’ensemble du matériel utilisé pour le lever ; notamment les sondes urinaires, les couches ou encore les gants de toilette. Sur le chariot nous disposons avec soin et méthode les différents articles. Je suis chargée pour ma part de tout consigner dans le registre afin de pouvoir


Pendant tout ce temps, je n’oublie pas combien je ne suis venue que pour une mission, celle de tuer Pauline. Ma petite défection ne doit pas me détourner de celle-là. Je réfléchis donc consciencieusement à la façon dont l’heure qui reste doit se dérouler.


Ma garde finit dans moins d’une demi-heure. Je mets donc mon plan à exécution.


« Oh ! C’est pas vrai ! C’est terrible.

  • Qu’est-ce qu’il se passe ?

  • Je n’ai plus ma chaine autour du cou.

  • Et alors ?

  • Bah je l’avais en arrivant. J’ai dû la perdre tout à l’heure quand j’ai vomi.

  • Ecoute j’ai tout nettoyé et pas de chaine.

  • Oh mince j’ai dû l’oublier dans la chambre où on était.

  • Tu crois ?

  • Je crois oui. Je suis vraiment bonne à rien. Je suis désolée.

  • Je t’avouerai que cela m’importe que tu aies perdu ta chaine. Mais par contre, cela est dangereux si la patiente la trouvait. Elle pourrait s’en servir contre elle ou contre quelqu’un d’autre. Ça ta dérange d’y retourner pour aller la chercher ?

  • Non non pas du tout. J’y vais. Je suis vraiment désolée.

  • On est d’accord. Tu es revenue dans cinq minutes ? C’est clair. Je ne t’accompagne pas parce qu’il faut absolument qu’on termine ça avant de partir. Mais tu fais vite, c’est compris ?

  • Ok pas de souci.

  • Tu rentres. Tu ne refermes pas la porte bien sûr. Tu ramasses ta chaine et tu refermes à double tour. T’en as pour deux minutes !

  • Oui oui promis.

  • Tu te souviens du numéro de la chambre ?

  • Euh non …

  • 315. File »


Elle me tend les clés et je marche à pas pressés jusqu’à l’autre bout du couloir.


Sans faire de bruit, je tourne la clé dans la porte. Le calme à cette extrémité du couloir est pesant. Je dois être la plus discrète possible. Je ne referme pas la porte mais la pousse suffisamment pour que tout bruit soit étouffé. Je tourne la tête vers la droite et revois la photo d’Elisa. Un haut de cœur …. Je respire profondément. Je m’approche de Pauline.


Je constate qu’elle dort profondément. Je glisse ma main sous mon pantalon et attrape délicatement mon sabre japonais. Je pose ma main sur le lit pour mieux m’équilibrer et ainsi pouvoir la tuer avec force. Je lève mon couteau au-dessus de l’épaule pour mieux le planter dans le corps de cette femme.


Sauf que … sauf que … elle ouvre les yeux …et chuchote …


« Elisa, Elisa. C’est toi mon amour. Mon enfant, mon amour. Je suis si heureuse de te voir. Tu es belle mon ange. Pardonne moi, pardonne moi mon enfant pour tout le mal que je t’ai fait. »


Elle pleure, à chaudes larmes, comme émue et peureuse.


« Tu viens me chercher. C’est ça ? Partons toutes les deux, je te protégerai, je te le jure. »


Elle m’attrape la main que j’avais posée sur son lit. Elle me serre si fort que je suis comme tétanisée.


« Viens mon ange. Viens m’embrasser. Que je sente ta peau, que je sente ton odeur de bébé dont je me souviens chaque jour et nuit. Mon amour, ma fille, comme tu es belle. »


Je m’effondre. Je m’agenouille sur le côté du lit, laisse tomber mon couteau à terre et serre très fort la main de Pauline. Je pleure moi aussi.


« Ne pleure pas mon ange. C’est moi qui te pleure. C’est moi qui t’ai fait du mal. Pardonne- moi mon amour

  • Je pleure Pauline car …. Je te pleure en fait … Je ne peux pas … non je ne peux pas faire cela. C’est trop dur ! Pardonne-moi, pardonne-moi Pauline. »


Je me lève doucement, lui caresse la main et essuie mes larmes. Je me penche vers son visage, lui passe la main sur les cheveux comme on fait à un enfant pour l’apaiser et l’embrasse doucement sur le front qu’elle a de brûlant. Je lui glisse à l’oreille :


« Pardon Pauline. Pardonne-moi. Je te laisse en paix avec ta douleur. »


Ses larmes se calment.


Je ramasse mon couteau que je glisse sous l’élastique de ma culotte. Je m’approche de la porte et me penche pour ramasser mes chaussures. Je la regarde une dernière fois, le visage devenu paisible, l’hallucination refoulée…


Je tourne la tête vers la photo d’Elisa… Je ne suis pas capable… Je ne suis plus capable…


Je referme la porte. Avec le revers de ma blouse, je m’essuie le visage, pour mieux cacher mes larmes à Claire. Je remets ma chaine autour du cou. Il est 4H54.


Cette nuit est sans aucun doute la pire nuit que je n’ai jamais eu à vivre. La plus triste aussi … la plus dure … elle symbolise ma fin, ma perte, ma mort.


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