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Lettre à papa



Vendredi 13 novembre 2015


Papa,

Mon papa,

Mon cher papa,

Mon papa d’amour,



Cela fait une éternité que je ne t’ai pas écrit. Pourtant pas une journée ne se passe sans que je pense à toi. La dernière fois que j’ai pris une feuille de papier pour t’écrire je devais avoir dix ans et c’était sûrement pour te demander un super cadeau de Noël.


Je voulais te dire par cette lettre que je t’aime très fort. Que je suis désolée si je t’ai déçu et que tu aurais mérité une autre fille.


Emma est sans aucun doute le cadeau de la vie que tu méritais.


Tu dois te dire que je suis folle de t’écrire cela mais tu comprendras dans quelques jours combien je suis folle en effet. Folle d’amour et de haine. Folle de ne pas pouvoir te serrer une dernière fois dans mes bras pour te dire combien tu vas me manquer. Folle de te faire du mal ; toi qui t’as tant aimé. Et folle de ne pas t’avoir tout avoué.

Emma et toi resterez tous les deux les êtres les plus chers à mes yeux. Ceux que j’aime le plus, ceux qui me manqueront le plus. Vous êtes deux soleils qui ont illuminé ma vie quand il n y a que noirceur dans la mienne. Je vais vous faire tant de mal que vous m’en voudrez pour toujours. Vous n’arriverez surement pas à me trouver des circonstances atténuantes.


Mais je dois le faire. Je dois vous débarrasser d’elle. Le démon est dans ta maison, il est couché dans ton lit chaque nuit et je dois te protéger. La seule façon de faire est de la tuer.


Tu as tout fait pour que je sois heureuse. Tu m’as donné tout l’amour dont j’avais besoin pour grandir, pour éclore. Aujourd’hui, telle une rose je suis fanée et je me meurs. Je me meurs de la haine qui grandit chaque jour en moi. Je me meurs de cet amour qui nous détruit. Je me meurs des mensonges qui nous ont annihilés.


J’ai joué, je joue encore maintenant. Mais pas avec toi. Pas avec Emma. Je ne me suis jamais joué de vous. Je n’ai jamais masqué mes sentiments. Et quand je vous serrais dans mes bras sur le quai de la gare de Rouen, c’était pour mieux me sentir vivante auprès de vous, pour mieux sentir le véritable amour qui nous liait.


Tu n’as pas enfanté un monstre…. Ne cesse pas de l’oublier… tu n’as pas enfanté un monstre… j’ai choisi mon destin, j’ai choisi de devenir celle que je suis. Tu n’y es pour rien. Bien au contraire, tout comme moi, tu es une victime de sa cruauté. Une victime de son désamour, une victime de ses mensonges et autres trahisons.


La mort d’Elisa m’a amenée à devenir Sisyphe, faisant de moi l’actrice d’une situation inepte dont je ne voyais pas la fin. J’ai alors choisi de créer moi-même la fin, de placer mes acteurs tels des pions sur un échiquier, pour mieux les manipuler et les évincer du plateau de jeu. J’ai tout écrit, seule, avec Yasuke pour seul confident. J’ai écrit depuis des années le scénario de ma vie et les scénarii des vôtres. J’ai pensé chaque action, chaque décor, chaque sentiment. Les gens sont si prévisibles qu’ils n’aient pas dur de devancer leurs réactions.


Le monde n’est que miroir. Il n’est que le reflet des vies mais jamais la vie en elle-même. C’est lorsque l’on est seule que notre vie s’écrit. Dès lors que l’Autre est là, quel qu’il soit, où qu’il soit, quoi qu’il soit, il y a jeu, il y a manipulation, il y a outrage et avanie. L’Autre n’est qu’une illusion ; l’illusion d’appartenir au monde. Il ne sert que de béquille sur laquelle on se repose quand ce monde ne nous est plus possible, quand il est devenu si cruel qu’on doit le quitter.


Je n’ai pas voulu vivre avec les Autres ; je n’ai pas voulu aimer un Autre ; je n’ai pas voulu être la fille d’une Autre. Je n’ai pas voulu être et devenir. Je n’ai pas voulu naitre.


Aujourd’hui, je donne à ma vie son dernier acte dans cette pièce de théâtre aux décors trop étroits, trop abruptes, trop austères pour que je puisse continuer à respirer. La vie que tu m’as donné a toujours été faite de soleil et d’espoir ; de balades en vélo et de sourires partagés. Je n’oublierai pas jusqu’à mon dernier souffle combien tu m’as aimée. Combien je t’ai aimé. N’en doute pas. Promets le moi. Ne doute pas, papa, de mon amour pour toi. Ne doute pas que je ne puisse aimer plus que je vous ai aimé Emma et toi.


Soyez forts dans la douleur du drame que je vous inflige. Soyez forts dans la douleur des larmes que je vous inflige.


Je t’aime. Je vous aime.


Pardon et adieu.


P.S: Tu trouveras dans ce paquet les lettres écrites par ta femme... à une autre époque... pour un autre homme ... pour une autre femme ... pour une même trahison.


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