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Anne et Claire ...



Il est 20H50 quand je me présente au bureau d’accueil du service psychiatrie sous les traits d’Anne Guérin.


« Bonjour Monsieur. Excusez-moi. Je m’appelle Anne Guérin. Je viens pour mon stage. C’est mon premier jour.

  • Bonsoir. Alors voyons le registre. Anne Guérin c’est ça ?

  • Oui

  • Alors qu’est-ce qu’ils m’ont écrit là-dessus ? Guérin … ah voilà. Anne Guérin. Alors vous êtes affectée au Bloc 3. Vous pouvez aller vous mettre en tenue. C’est au bout du couloir. Vous y trouverez sous vide une tenue complète. Vous avez pris vos sabots ?

  • Oui oui monsieur.

  • Parfait. Alors allez-y. Voici la clé de votre vestiaire, numéro 24. Ah oui … le bloc c’est donc le 3 dont troisième étage. N’oubliez pas de porter constamment votre badge que vous avez dû recevoir par les services administratifs. Vous l’avez ?

  • Oui

  • Alors parfait.

  • Bonne première nuit et bon courage »


Seule dans les vestiaires, je dépose mon sac à dos bleu. Je n’avais pas pu voir la configuration des lieux et avais donc prévu de glisser mon sabre sous mon collant noir. La finesse de cette lame et son manche ciselé sont parfaitement indétectables sous ma tenue ample d’aide- soignante. J’ai pris la précaution de l’attacher fermement avec du scotch marron qui me blessent la cuisse droite et fait rougir ma peau.


Une femme rentre.

« Bonsoir

  • Bonsoir

  • T’es la nouvelle ?

  • Oui madame.

  • Pas de madame ici. Je m’appelle Claire. Je suis au bloc 3 avec toi. Momo à l’accueil m’a dit que tu étais arrivée.

  • Enchantée moi c’est Anne, dis-je en lui tendant la main.

  • Enchantée. On va travailler toutes les deux cette nuit. Tu es en troisième année c’est ça ? Tu as déjà fait des stages du coup ?

  • Oui oui. Sur Paris, j’habitais là-bas avant.

  • Tant mieux. J’ai pleins de paperasses à faire cette nuit. On a eu un départ mouvementé la nuit dernière et je dois écrire mon rapport pour la hiérarchie. Je vais te confier le nettoyage des sols du bloc pour commencer. D’accord ?

  • Pas de souci.

  • On va regarder ensemble la procédure concernant les produits. La désinfection est essentielle. Tu dois le savoir. J’ai déjà eu quelques étudiantes et je sais que c’est pas toujours quelque chose que vous savez faire.

  • D’accord. Pas de souci.

  • Tu as tes sabots ?

  • Oui oui

  • Allez, on y va ».


Claire et moi nous retrouvons au troisième étage après avoir emprunté l’escalier. Chaque étage est associé à une couleur. Le bloc 3 est donc recouvert de murs violets où aucun cadre, aucune fleur n’apparaissent. La froideur des lieux est proportionnelle à la dangerosité des malades. Deux infirmières nous rejoignent et nous saluent. Comme souvent, la petite dernière comme moi n’a pas à donner son avis donc j’écoute attentivement.


La conversation tourne autour des effectifs qui se renouvellent peu et sur la difficulté d’assurer les nuits surtout quand elles sont agitées comme la nuit dernière. Après leur départ, Claire s’assoit à côté de moi et m’explique le fonctionnement du service. Chaque malade est interné dans ce bloc pour avoir intenté à la vie de quelqu’un, avec réussite ou pas. Le bloc 2 est consacré aux suicidaires. Au moins une fois, les patients du bloc 3 ont agressé une personne et il s’agit ici de canaliser cette violence. Claire m’explique qu’il y a un patient par chambre donc ici 32 patients. Entre soignants, on parle de cellule mais il ne faut jamais utiliser ce mot avec les familles. Chacun est enfermé à double tour. Il n y a aucune liberté de mouvements. Ici toute la vie sociale est construite autour des heures de prises de médicaments.


Ici les patients sont incapables de faire seul ; notre boulot consiste donc à les assister à manger, à s’habiller, à mettre leurs chaussures, à faire des activités etc. Pour Claire, la différence entre les fous en prison et les fous en hôpital psychiatrique c’est justement qu’ici il y a des aides car les personnes ont perdu toutes capacités sociales primaires. Ici, la démence associée aux anxiolytiques et autres hypnotiques empêchent toute liberté de mouvement entravant les corps, les cœurs et les têtes.


Claire semble faire ce métier avec passion. Elle insiste sur le fait que les personnes internées étaient toutes avant de venir ici des personnes très fragilisées socialement et que sans l’institution psychiatrique elles seraient mortes ou en prison. Elle a une approche sociale de la démence, m’expliquant que c’est aussi parce que la société est malade qu’elle engendre autant de fous. Pour elle, l’individualisme et la course à la performance laissent des centaines de personnes à la marge. Cette population ne peut vivre sans le secours des autres. Les divorces, le décès d’un proche, le chômage, conduisent à des comportements asociaux et certains plus fragiles que d’autres perdent pied avec la réalité, avec la socialisation et deviennent fous. Elle me précise que les patients ici ont tous vécu des douleurs pendant leur enfance. Ils auraient pu à un moment de leur vie être suivis par des spécialistes et ainsi peut être éviter leur passage à l’acte. Mais rien n’est moins sûr. Je la cite : « on sait guérir les blessures de guerre mais pas des blessures de vie ».


Claire m’interroge sur mon envie de faire ce métier et notamment en psychiatrie. Je lui explique que j’ai été touchée personnellement par une amie qui s’est retrouvée en institution psychiatrique et que ce que j’aime dans ce domaine ce sont les mécanismes de la psyché. C’est comprendre pour mieux aider. Je lui mens en lui disant qu’après je voudrais passer le concours d’infirmière. Elle me répète encore une fois que ce métier est formidable, que nous devons être au secours de ces hommes et femmes qui ont déjà souffert et que nous sommes là pour les apaiser.


Je réfléchis à ce qu’elle me dit ….


C’est dommage que je rencontre Claire dans ce contexte parce que c’est une femme formidable. Elle est passionnée par son métier et au service de ceux qui ont en visiblement bien besoin… je suis émue de voir ce petit bout de femme courageuse et aimante veiller sur des congénères dévastés par la vie.


Après cet échange introductif, Claire m’emmène au bout du couloir pour me montrer le local où se trouve le chariot pour le nettoyage. Elle me propose de commencer à nettoyer consciencieusement l’étage du bâtiment pendant qu’elle va faire son rapport. Elle m’explique que vers 2 heures du matin, toutes les nuits, la procédure veut qu’il y ait une ronde et que chaque chambre soit ouverte afin de s’assurer que le patient est calme. La nuit est synonyme d’angoisse et d’agitation qu’il faut parfois canaliser.


J’en conclus donc que Pauline mourra après deux heures du matin. Reste à savoir si je pourrais la tuer comme je l’espère.


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