top of page

Résister



Mon avion décolle à 6H26, dans moins d’une heure, de l’aéroport de Toulouse Blagnac. Je suis assise sur les toilettes depuis plus d’une demi-heure. J’ai passé la douane et les différents contrôles et attends Hall B que les passagers soient appelés pour l’embarquement.


Culotte au sol, jupe relevée, je suis apeurée ; encore tremblante de ce qui m’est arrivé. J’ai pleuré dans mon écharpe pendant toute la durée de la navette jusqu’à l’aéroport. J’ai dû me calmer pour passer les contrôles et être la plus discrète possible. Dès que j’ai quitté Claire et lui ai dit « à demain », j’ai senti mon corps défaillir. Il a pourtant fallu que je me reprenne. Comme prévu j’ai déposé mon couteau dans une boite en carton que j’ai cachée dans le trou que j’ai creusé près de la rivière. Mon repère est celui du grand peuplier qui orne les bords de l’eau.


Je dois sûrement avoir les marques de la cuvette sur les fesses tant que je suis comme statufiée sur ces toilettes. Comment faire ? Comment oublier ? Comment avancer maintenant ?


Cette nuit passée avec Pauline m’a montré combien il était essentiel que ma mission se termine vite. J’ai préparé les lettres à envoyer à Emma, Papa et Axel que j’enverrai au matin du 15 novembre.


En attendant, il va falloir que je puisse trouver le courage de mener à bien ma dernière mission ; la plus importante à mes yeux ;


Je dois m’assurer en rentrant chez moi à Paris que toutes nos affaires sont prêtes pour Yasuke et moi. On ne doit manquer de rien pour notre dernier voyage.


Un virement partira le 14 novembre au matin pour ma propriétaire afin de payer les trois prochains mois de loyer de telle façon que papa ne soit pas embêté jusqu’à la fin du préavis. Je laisserais sur mon lit 3000 euros d’argent liquide pour papa afin qu’il puisse régler les derniers frais.

Ce vol vers Paris n’a pas été long et tant mieux. Je suis dans un état lamentable, psychologiquement et physiquement. Je suis éprouvée par mon manque de courage à l’idée de tuer Pauline. J’ai été faible, très faible et j’ai que des remords.


J’ai cherché dans les yeux d’Elisa sur la photo posée sur le bureau si je faisais bien ou mal. Mais je n’ai toujours pas trouvé la réponse à cette question. Une partie de moi tend à me dire que j’ai bien fait et qu’Elisa aurait gracié sa mère tandis qu’une autre partie de moi m’incite à m’auto-flageller en me disant que je ne suis vraiment qu’une lâche aussi flaccide.


Que faire ? Comment faire pour tuer celle avec laquelle on a des souvenirs d’enfance heureux ? Comment faire pour tuer celle qui a donné la vie à sa meilleure amie mais qui, il est vrai, l’a tuée par procuration ?


Je suis terrifiée à l’idée que Pauline ait pu me reconnaitre. Elle a soutenu mon regarde et même si elle pensait que j’étais Elisa, peut être m’a-t-elle reconnue. Normalement l’hôpital psychiatrique ne peut pas me retrouver et le fait que je ne revienne pas cette nuit va sûrement attirer les questions sur cette Anne Guérin que personne ne connaitra finalement.


Il faut donc que Lisa meurt, que je meurs … pour que jamais à mon tour je ne puisse connaitre la prison, comme Pauline. Je ne serais pas aussi qu’elle pour supporter la privation, le désamour, l’humiliation et pire encore la promiscuité. Je suis de ceux qui ont gravé sous leur peau, tels des disciples de la philosophie Sartrienne, que l’Enfer c’est les Autres.


Je hais les Hommes autant que je me hais moi-même. La vie n’est qu’un leurre. La vie n’est que duperie, artifice et imposture. Cette immense scène de théâtre qu’est la vie, demande à chacun de nous de devenir acteur. Acteur d’un monde, d’une vie, d’une collectivité, d’une famille, d’un amour, de plusieurs désamours. Mais l’acteur n’agit que par le regard de l’autre, que parce qu’il y a un scénariste, un auteur, un scoliaste des temps modernes.


Le regard, les regards, le regard qu’on porte sur soi, le regard que l’on donne à voir, soutenir le regard de quelqu’un, regarder du coin de l’œil …déshabiller quelqu’un du regard. Regarder pour mieux voir, regarder pour mieux juger, regarder pour mieux tromper.


On est acteur ou spectateur. On agit ou on subit. Dans tous les cas, c’est l’Autre qui va définir notre place, notre positionnement.


Emma n’est que le fruit d’un amour dupe entre papa et le diable. Pauline a subi toute sa vie et n’a jamais eu la force d’agir. Son mari, le père d’Elisa, ce monstre a agi toute sa vie sous le regard bienveillant d’une société bien-pensante et moralisatrice. Elisa a subi toute sa vie et elle a agi. Elle a été actrice de sa vie, une seule fois. Une seule fois, elle a agi pour mieux se mettre la corde autour du cou et mourir. Le premier regard qui s’est porté sur son petit corps frêle rompu à toute vie, à tout battement de cœur, c’est le regard de sa mère. L’avait-elle voulu ainsi ? Avait-elle, savait-elle que ce serait son bourreau passif, sa mère, qui serait le premier témoin de cette mise en scène macabre et pourtant ô combien nécessaire car culpabilisante ?


Nous faisons de nous ce que nous souhaitons être. Le libre choix est la plus grande des libertés. Subir sous les coups, sous les injures, sous les humiliations, c’est avant tout survivre. On commence à vivre quand on décide de devenir acteur de sa vie et de relayer le regard des Autres, de l’Autre à celui de spectateur et non plus de scénariste.


Ma vie, ma courte vie, ma jeune vie est celle de l’abandon. J’ai été abandonnée par Elisa car je l’ai abandonnée. Mais je n’ai jamais voulu m’abandonner …. M’abandonner aux promesses de l’amour avec Axel, m’abandonner aux mensonges de ma mère.


Je ne suis qu’une jeune fille, de 24 ans, perdue et haineuse. J’ai ôté la vie à plusieurs reprises car ma mission est de tuer ceux qui ne sont pas dans le droit chemin, dans MON droit chemin.


Le plus dur reste à venir.


La tuer elle.


Me tuer


Disparaitre et oublier. S’oublier.


Featured Review
Tag Cloud
Pas encore de mots-clés.
bottom of page