Wakizashi
- Mélanie
- 12 sept. 2015
- 6 min de lecture

Déjà vingt minutes que je végète. Je suis nue sous une serviette dans le hammam quand elle arrive. Elle me salue en me disant « bonjour » avec un léger accent allemand. Nous ne sommes que deux ce matin à profiter de cette chaleur étouffante sensée resserrer les pores et rendre la peau douce.
Je la salue en retour et observe du coin de l’œil son visage que j’avais vu pour la première fois au bord de la piscine il y a deux jours. Elle a les yeux clairs sur une chevelure blonde et un carré bien droit. Plutôt bien faite, petite poitrine et fesses galbées, pour ce que j’entrevois sous cette serviette blanche.
Ma masseuse vient me chercher et je croise le regard de ma proie avant de sortir.
Allongée sur la table de massage, la tête vers le sol, j’ai opté pour la première fois pour un massage de dos aux pierres chaudes. Ce matin, la masseuse est débordée. Deux clientes pour une seule masseuse, voilà une déveine.
Sa collègue, rarement absente, a appelé ce matin pour lui dire que sa voiture ne démarrait plus. Mais ici en montagne même en été, huit kilomètres entre deux villages c’est une demi-heure de route et 500 mètres d’altitude impossible à faire à pied. Il semble que son Opel Corsa, pourtant bien entretenue, soit désormais incapable de démarrer. Elle a donc appelé pour dire qu’elle ne pouvait monter à la station et allait demander à son frère de venir voir quand il sera rentré du travail ce soir.
Quant à moi, j’essaye de me détendre et observe avec attention chacun des gestes de la masseuse dans la préparation des pierres chaudes. J’ai regardé hier soir, avant de sortir, quelques vidéos sur You Tube, pour ne pas oublier de petits détails, et parfaire ma démarche, quand ce sera mon tour.
Gisela doit en ce moment transpirer dans le hammam en attendant son tour pour son massage.
Mon sac est au pied de la chaise installée près de la table de massage ce qui me permettra en temps utiles de pouvoir accéder à mes accessoires.
La masseuse commence par m’effleurer le corps et me frictionner les pieds ce qui est un véritable bonheur. Puis je l’entends prendre les pierres volcaniques, noires comme du charbon et les disposer lentement sur mon dos.
« Madame Polena, tout va bien ?
Oui c’est parfait et très agréable.
Je vous remercie pour le macaron à la violette que vous m’avez offert en arrivant c’était délicieux.
Je vous avais mis l’eau à la bouche hier quand je suis venue m’inscrire. Alors j’ai cuisiné un peu hier soir pour ce matin. Vous avez été si gentille de me faire visiter le spa.
Je vous laisse environ vingt minutes profiter des bienfaits des pierres et je reviens vous voir. Bonne séance.
Merci beaucoup. A tout à l’heure. »
Me voilà seule, sous l’identité de Lisa Polena, profitant de ma séance de bien-être.
Je ne sais pas comment j’arrive à inventer des noms de famille farfelus pour me faire passer pour une autre. Le principal est de ne pas laisser trop de trace de mon passage.
J’entends par-delà la cloison la masseuse appeler Mme Hoffmann et l’inviter à s’allonger sur la table de massage dans la pièce d’à côté. Dans un français très correct aux accents germaniques, elle explique qu’elle a des quintes de toux et mal à la tête mais que le massage lui fera surement du bien.
La première partie du plan commence donc à s’enclencher et ma serviette calfeutrant la bouche d’aération nécessaire à la ventilation de l’air dans le hammam fait son effet. Le hammam est comme une énorme bouilloire et, comme les gouttes d’eau on peut vite se retrouver prisonnier. Dans le livre de médecine que j’ai consulté, j’ai lu qu’une forte concentration de monoxyde de carbone dans un endroit clos pourrait faire des victimes en 20 minutes.
Ce premier détail est résolu et le tombeau d’une de mes victimes est opérationnel.
Puis s’installent le silence et l’intimité de ces lieux de massages réservés souvent à une clientèle féminine qui oublie ici leurs soucis.
Un peu somnolente, j’entends la masseuse rentrer avec précaution dans la cabine où je suis installée et elle me demande si tout va bien.
« Oui merci beaucoup. Mais j’ai un peu mal à la tête. Comme une sensation d’étouffement. Je croyais que c’était le hammam, j’ai pas l’habitude mais là ça ne passe pas.
Vraiment, s’interroge la masseuse. C’est bizarre ça. Vous êtes la deuxième cliente qui me dit cela.
Ah bon ! oui c’est étrange. J’ai une amie qui était presque tombée dans les pommes à cause de la chaleur une fois. Vous devriez peut-être vérifier la chaleur dans le hammam, je ne sais pas, j’y connais pas grand-chose.
Oui vous avez raison. Je vais voir. Je suis vraiment désolée de ce désagrément. Je reviens madame », me dit-elle en s’éclipsant.
Seule, j’attends quelques minutes avant de m’éclipser à mon tour de la table de massage. J’enfile ma serviette autour de mes hanches, seins à l’air et prend mes différents accessoires dans mon sac à dos.
Je glisse mon wakizashi contre ma peau, près du nombril à portée de main. Rapidement, je me transforme en celle que j’admire le plus et met en œuvre mon plan méticuleusement.
Tout d’abord, la masseuse… victime innocente mais indispensable au bon déroulement du plan. Je la trouve comme prévue dans le hammam, inerte sur le sol, le poison ayant fait son effet. Ses lèves commencent à bleuir, la voilà déjà partie vers d’autres cieux. Cette petite recette à la violette est un délice …
Quant à cette chère Gisela, je prends plaisir, sourire aux lèvres à me rendre près d’elle. Elle est parfaitement détendue, allongée sur le ventre, visage enfoncée dans le trou de la table de massage et ne voyant que mes pieds lorsque je m’approche. Ma perruque me gratte et, comme écrit dans mon carnet hier, je n’omets pas de faire tomber quelques mèches brunes synthétiques sur la serviette et au sol afin de laisser quelques traces de mon passage.
« Tout va bien Mme Hoffmann ? » lui dis-je en chuchotant.
Elle tousse un peu faisant mine de relever la tête comme pour se tourner.
« Ne bougez pas. Les pierres pourraient tomber.
J’ai l’impression que la chaleur du hammam m’a un peu fait mal à la gorge.
Je vous offrirai un thé après votre séance et il y a de délicieux macarons à la violette.
Merci. Il y en a encore pour longtemps pour le massage ? Je dois aller chercher ma petite au centre. » me ment-elle, puisque les enfants du club sont partis pour la journée dans la montagne.
Je ne lui laisse pas le temps de se plaindre encore une fois et sort mon petit et si mignon sabre japonais collé à ma peau. Doucement, celle qui ne peut observer que mes pieds, se voit la tête relevée par mes soins, puisque je lui empoigne ses cheveux blonds et lui tranche la gorge lentement.
Le sang gicle sur le carrelage et les gouttelettes s’amoncellent.
Il n y a pas un cri, pas un soupir, juste le silence d’une pièce maculée du sang de cette mère qui ne mérite pas d’en être une.
Comme à mon habitude, chaussée de mes longs gants de satin, je dépose sur son dos, le long des pierres bientôt froides, comme le cadavre, une pièce de ma collection si intime. La dentelle centenaire de cette jarretière se retrouvera bientôt dans un petit sachet scellé par les enquêteurs.
Tranquillement je reviens dans l’autre pièce et range mes affaires dans mon sac, puis enfile ma robe et me glisse dans mes tongs. Je nettoie tout autour de moi, minutieusement, et je fais le tour du spa en n’oubliant pas d’arracher la dernière page du carnet de rendez-vous.
Toujours affublée de ma perruque brune, je salue à l’étage la femme de ménage.
Sous un soleil de plomb, je remonte au club de vacances en suivant le cours d’eau qui dévale de la montagne jusqu’à la vallée. Sans le vouloir, je pollue à ma manière cet endroit idyllique en y jetant mon postiche.
Je n’oublie pas de demander à Nathalie à l’accueil comment elle va en cette journée ensoleillée. Elle me répond que tout va bien car les enfants du club sont partis pour la journée et que c’est plutôt calme. Je lui raconte que j’ai été visité Gap et fait le circuit de la colline de Puymaure, pour contempler les hauteurs de la ville.
On discoure de longues minutes sur la beauté de la ville et de ses alentours.
Quand enfin je suis dans ma chambre je prends soin de ranger dans une de mes fidèles trousses de rangement la fiole d’Amanite phalloïde, recueillie quelques semaines auparavant dans la forêt normande. Je l’emmène toujours avec moi au cas où …. Et hier soir, lors de la préparation des macarons à la violette, le champignon tueur m’a été d’une grande utilité.
Au fait, c’est quand même super utile les vidéos sur le net qui montre comment couper le bon câble pour ne pas faire démarrer une voiture…. Et ce petit village de Prapic dans la pénombre de la nuit avait un charme fou, auprès du tombeau des poètes…