Ry
- Mélanie
- 13 sept. 2015
- 5 min de lecture

Arrivée à la gare de Rouen, mon sac sur le dos, je retrouve la chaleur de ma famille, Papa, maman et Emma.
Maman a fait l’effort de mettre des boucles d’oreilles et une robe orangée qui sublime son teint des vacances. Papa, égal à lui-même a revêtu son blazer du dimanche malgré que l’on soit vendredi. Quant à Emma, du haut de ses douze ans, elle me regarde comme elle regarderait une image figée dans un magazine et prêtant attention à chacun de mes vêtements et accessoires. Elle est habillée avec une robe Zadig et Voltaire, surement achetée en foire à tout. Les couleurs pastel la rajeunissent et mettent en valeur sa peau claire et parsemée de taches de rousseur, comme moi.
Emma me saute au cou et m’embrasse tendrement.
« Je suis tellement contente de te voir. Tu m’as manqué. Elle est jolie ta robe et ça va trop bien avec tes chaussures. T’as vu maman ?
Emma, laisse la tranquille. Elle va être avec toi tout le week end. Tu vas pouvoir passer plein de temps avec elle. Allez, attends donne-moi ton sac ma grande tu dois être fatiguée, » me plaint maman
Et voilà commence chaque week-end en Normandie. Je redeviens la petite fille qui, choyée par ses parents, se laisse bercer par les sentiments. Mais je ne falsifie pas mes sentiments et mon amour, ils sont sincères et c’est bien la seule sincérité qu’il me reste aujourd’hui.
On monte tous les quatre dans le Renault Espace et papa nous conduit à Ry vers la maison. Mes parents habitent où il fait vraiment bon vivre. J’ai fait toute ma scolarité ici ou pas très loin et j ‘aime ce petit bourg non loin de la ville mais à la campagne. Ry est le symbole du romantisme à la normande, enjolivé par les écrits de Flaubert, dont l’âme transpire chaque rue et chaque maison. Mme Bovary pourrait apparaitre ici, tel un fantôme, que personne n’en serait surpris tant elle fait partie de notre univers quotidien.
Papa et maman sont heureux ici dans cette maison achetée lorsque j’étais enfant. Et Emma s’adonne à sa passion des chevaux en fréquentant régulièrement un des nombreux centres d’équitation aux alentours.
Le jardin constitué de parterres de fleurs et de plantes entourent la maison et réveille notre odorat dès que l’on passe le portail.
Tout est impeccable, propret, pensé et calculé. Toute la passion de maman se retrouve dans ce jardin. C’est sa fierté et on peut la comprendre. Trop timide pour participer au concours du plus beau jardin, elle aurait pourtant toutes ces chances.
A l’instant maman n’a qu’une obsession ; récupérer mon linge sale pour le mettre à laver puis sécher. Cela fut fait dans l’heure après mon arrivée. J’obtempère, ne faisant même plus mine de résister à sa demande. On peut avoir 24 ans et aimer se faire choyer comme une enfant qui en a quatre.
Je retrouve ma chambre d’adolescente. Seuls les posters au mur de Mickael Jackson et d’Ace of Base ont disparu sinon mon lit une place, mes peluches et le jardin d’hiver de Barbie sont toujours là.
Vivre avec les objets et le temps qui passe, c’est aussi vivre dans les souvenirs. Que Barbie soit encore présente dans cette petite chambre n’est pas un hasard. Je ne souffre pas du syndrome de Peter Pan. Ce jouet Barbie me renvoie au souvenir d’Elisa et me raccroche à ce monde de l’enfance devenu bien trop vite celui du monde des adultes. Ni papa ni maman ne sont revenus vers moi hier ou aujourd’hui pour me demander de le retirer.
Quant à Emma elle sait qu’elle vit dans une famille où règne un secret si lourd que parfois un mot prononcé, une image télévisée, font que nos visages se ferment, nos têtes se baissent comme pour mieux se recueillir.
« Lisa ? je peux rentrer ? murmure Emma derrière la porte de ma chambre
Oui bien sûr. Viens »
Emma s’assoit sur le bord du lit à côté de moi. Elle sent le parfum à la vanille qui fait fureur chez les ados en ce moment. Elle tient à la main un carnet format italien et m’explique :
« Depuis que tu es venue, papa et maman m’ont acheté un nouveau carnet et des nouveaux modèles. Je voulais te montrer. Tu veux bien ?
Bien sûr, montre-moi.
Mais tu ne te moques pas hein ?
Sauf si tu as tout colorié en fluo comme la dernière fois, parce que c’était drôle quand même ! », lui dis-je avec un sourire et en l’embrassant sur la joue, pour mieux sentir sa peau de bébé contre la mienne.
Elle ouvre la première page de son carnet et de là nous passons une heure allongées toutes les deux à contempler et commenter ses nombreuses esquisses. Je vois défiler des pantalons, des chaussures, des foulards, des chemises etc. qui forment d’innombrables tenues féminines. Elle me précise à plusieurs reprises qu’elle aimerait porter celle-là quand « elle sera grande » ou encore que cette jupe irait parfaitement à maman.
Elle est heureuse de partager cela avec moi et pense que mes études de mode me confèrent un avis sans faille sur la mode d’aujourd’hui.
Je lui explique patiemment que ce que j’aime particulièrement c ‘est la mode du siècle dernier, celui où je suis née et qu’elle n’a pas connu. Pour elle c’est un temps si lointain qu’elle ne saisit pas très bien.
« Ma chérie, c’est vraiment super ce que tu as dessiné et je suis sûre qu’un jour tu pourras porter ce que tu as dessiné. Il faut toujours croire en ces rêves et je sais que tu en as pleins.
Tu sais maman a commencé à m’apprendre à coudre. Mais je suis pas très douée. Je ne suis pas aussi patiente que toi.
Oh ce n’est pas une question de patience mais de passion. Regarde avec ton cheval au club, tu as de la patience parce que tu es passionnée par les chevaux. Et bien là c’est pareil. Tu verras quand tu seras grande, quand tu voudras coudre ta robe de mariée, tu seras très patiente.
Nos rires sont interrompus par maman qui ouvre doucement la porte de ma chambre et nous demande de venir diner.
La soirée se passe doucement autour d’une paella maison, rappelant les trois jours passés en mai à Séville. Emma a été enchantée de ces vacances avec papa et maman et me raconte dans le moindre détail les spectacles de chevaux auxquels ils ont assisté. La danse des chevaux andalous semble être un moment mémorable.
Le repas se termine par une partie de belote autour des restes du gâteau au chocolat, tandis qu’Emma s’endort sur le canapé devant la télé.
Papa me demande avant d’aller dormir :
« Au fait, tes vacances se sont bien passé à Orcières ?
Oui très bien papa. Je me suis bien amusée et j’en ai profité pour me reposer. »