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Hurler ma haine

Cinq jours que nous partageons nos vacances en famille. Journées paisibles et rieuses faites de randonnées, d’apéros tardifs, d’après-midi à la plage, d’un peu de tourisme à Carcassonne, de glaces au chocolat dans un cornet et de lecture le soir dans le jardin sous une chaleur encore harassante.



Yasuke semble être heureux ici. Il gambade dans la maison et dans le jardin mais sa plus grosse activité reste, comme à Paris, celle qui consiste à se trouver un petit coin tranquille et à dormir. Parfois, une oreille se lève comme pour indiquer qu’il veille mais très vite il se rendort.


Cela me rassure énormément de l’avoir avec moi. Il me manquerait trop s’il n’était pas près de moi. Il m’apaise quand je pense trop et m’amuse quand je perds le sourire. Yasuke est ma bouffée d’oxygène. Et puis nous gardons ici les mêmes habitudes qu’à la maison : petit rituel après la douche le matin et gros câlins le soir sur mon ventre.


Depuis cinq jours, je pense à Orcières, à la petite Constanz qui a perdu sa maman, à Lisa et à Pauline, à Debbie, à Axel, à ma mère et à moi.


Jusqu’à l’âge de quatorze ans, j’ai vécu dans une sorte de rêverie ambiante. Famille aimante, parcours scolaire sans faute, une enfance calme et heureuse. Aujourd’hui je suis brisée comme si cette vie d’avant n’avait pas existé. Les mauvais souvenirs ont pris le pas sur les bons.


Je voudrais hurler ma haine. Je voudrais hurler ma peine. Je voudrais disparaitre. Me fondre dans ce décor que je ne supporte plus. Je crois que personne ne regretterait mon départ à jamais.


Je ne suis plus rien. Je ne sens plus rien. Je ne ressens plus rien. Je marche à côté de ce que je suis. Non je ne marche pas, je déambule telle une funambule. Je souris quand il faut sourire, je ris quand il faut rire, je m’attriste quand l’air est triste. Je suis le parfait prototype de ce que la société veut. Invisible, docile, respectueuse. Je ne suis plus que ce que les autres attendent de moi. Je veux qu’on me laisse seule et tranquille.


Tant de fois je voudrais briser cette carapace et hurler aux yeux du monde tout ce que j’ai sur le cœur. J’ai compris bien trop vite qu’il fallait vivre dans l’ombre et jouer pour mieux tromper.


Ma vengeance sera terrible et tout ce que je contiens au fond de moi se transformera en autant de gouttes de sang. J’aime voir ce sang se répandre sur le sol comme une purification du mal qui coule sous mon Wakizashi.


Moi l’invisible, moi la docile, pendant mes pérégrinations meurtrières, je deviens celle qu’on voit, celle qui transgresse la loi.


On ne peut connaitre la haine envers l’autre que lorsque nos propres valeurs sont bafouées. Chacun a son éthique et moi j’ai la mienne. Il y a selon moi des choses impardonnables et moi Lisa j’œuvre désormais à ne pas pardonner.


J’aime voir la peur dans les yeux de ceux qui jouent à faire peur.


Je suis un puzzle en mille morceaux à l’intérieur. J’ai longtemps réfléchi à tout faire pour recoller les morceaux et continuer d’avancer. Mais rien n’y fait, pas même l’amour d’Axel et sa demande en mariage. Je savais que même si je me mariais avec lui, même si je l’aimais, à ma façon, même si je me donnais toute entière à lui, j’aurais été malheureuse jusqu’à la fin de mes jours.


J’aurais feint. Il y aurait toujours eu des moments où j’aurais été seule et où j’aurais su que ce cœur qui bat n’est relié qu’à un fil si fragile. D’une fragilité si extrême qu’il pourrait exploser et céder à tout instant. Axel n y est pour rien. Bien au contraire il a tout fait pour me sortir de ma bulle et m’aider à reconstruire.


Ce n’est pas un homme, un amant, un ami dont j’ai besoin. Mais toi, juste toi. Mais toi tu n’es plus là. Toi mon alter ego, toi qui m’as construite, toi qui respirait près de moi. Toi qui partageais presque tout avec moi. Toi qui as fait de moi ce que je suis aujourd’hui.


Je pleure en silence, je pleure tant si tu savais.


Comment faire sans toi ? Dis moi ! Comment pardonner ? Pardonner à la vie. Pardonner à mon père ? Pardonner à ma mère ? Pardonner à Pauline ? Pardonner aux taiseux et aux bien-pensants ?


Comment me pardonner ?


Je t’ai vu des nuits entières dans mes rêves et plus encore dans mes cauchemars. Je ne vis plus, je survis dans ce monde que je veux quitter pour être près de toi.


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