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Une mère


J’ai promis à Emma de l’emmener avec moi aujourd’hui pour la journée afin que l’on soit toutes les deux. Vêtues d’une petite robe d’été et de sandalettes, on s’est paré des fichus que l’on s’est confectionnés hier sur l’ancienne machine à coudre de mamie.

Le toit de la Fiat 500 est grand ouvert et telles les actrices italiennes à la belle époque, nous roulons avec grâce et sourire aux lèvres avec la douceur de la voix des jolies jumelles d’Ibeyi.

Emma a l’air très heureuse d’être avec moi. Nous n’avons pas encore parlé de la lettre qu’elle m’a envoyée et je n’ai pas encore réfléchi à la façon dont j’allais lui répondre. Je la trouve encore trop fragile pour entendre et comprendre ce qui se passe autour d’elle, ce qui se passe autour de nous.

Mais je dois la protéger et pour cela je dois l’avertir d’un potentiel danger. Il faut que je lui dise la vérité. Enfin la vérité, non ! Ma vérité, celle qui n’est pas dévoyée par ceux qui ne veulent plus voir, ni plus entendre.

Ma petite voiture a l’avantage de trouver une place facilement. Nous sommes au cœur du centre historique de Narbonne. Notre premier objectif est de faire les magasins. J’ai pris assez d’argent dans la boite à secrets pour que l’on se fasse plaisir toutes les deux.

Il est déjà 11H10 quand nous sommes assises sur les marches de l’hôtel de ville. On se partage une brioche achetée à la boulangerie d’en face quand une femme s’approche de nous pour nous demander quelques pièces. Je lui donne 8 centimes de monnaie que je trouve au fond de mon sac et je me dis que je suis bien mesquine de donner une telle somme et qu’il faut peut-être ne rien donner.

Emma s’interroge à voix haute :

« Ça doit être dur d’être une femme et de vivre dans la rue.

  • Pourquoi tu dis ça ? Tu penses que c’est plus dur d’être dans la rue quand on est une femme que quand on est un homme ?

  • Oui je crois et je trouve ça encore plus cruel.

  • Vraiment ?

  • Oui. Tu imagines …. Elle a surement donné naissance à un bébé un jour et aujourd’hui il doit être adulte et il ne s’occupe même pas de sa mère et la laisse dans la rue à mendier.

  • Mais enfin Emma. Voilà une conception très simpliste de la femme !

  • Ca veut dire quoi ?

  • Ca veut dire que tu ne peux pas penser d’une part qu’une femme est forcément une mère. Il y a des femmes qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas avoir d’enfant. Tu comprends ? Et puis il y a en effet des enfants qui ne sont pas gentils avec leurs parents même s’ils les ont aimés.

  • Oui je sais qu’on peut être malade et ne pas avoir d’enfant mais quand on peut en avoir je trouve ça égoïste de ne pas en faire !

  • Egoïste ? Mais pourquoi ?

  • Parce que la Nature nous a permis de faire des enfants, on a la chance de pouvoir donner la vie et c’est notre devoir. Donc il faut faire un bébé et lui offrir la possibilité de grandir. Sinon c’est comme si on ne faisait pas ce pour quoi on est faites, ce que la Nature attend de nous. Si les femmes préhistoriques avaient décidé de ne pas faire de bébé, on ne serait pas là !

  • Ma chérie, ma chérie, ma chérie … alors là je suis muette ! J’ai tant de choses à t’apprendre et il faut que je t’enlève de la tête tout ce que maman essaye de te faire croire. Déjà il faut savoir que l’on peut décider de ne pas avoir d’enfant parce qu’on en a pas envie. Un enfant ça peut aussi réer des soucis. Par exemple, certaines femmes ont beaucoup de soucis et quand elles deviennent mères ça leur fait pleins de nouveaux soucis. On peut avoir des problèmes financiers ou matériels or un bébé, il faut le nourrir, le changer, il lui faut une chambre, des vêtements etc. Et parfois il y a des mamans, elles n’ont pas assez d’argent pour pouvoir donner tout cela à leur enfant alors elles décident de ne pas en faire et d’attendre un peu et peut être de ne jamais en faire. Heureusement aujourd’hui les femmes ont le choix et elles peuvent choisir quand elles veulent un bébé et aussi si elles n’en veulent pas. Et puis autre chose d’important, une femme peut être une mauvaise mère. Ce n’est pas parce qu’on est une mère qu’on est forcément bonne avec ses enfants. Tu comprends Emma ?

  • Non pas trop. Toutes les mamans sont gentilles avec leur enfant.

  • Non mon ange. Malheureusement il y a beaucoup d’enfants malheureux et à cause de leurs parents. Toutes les mamans ne sont pas gentilles. Il y a des mamans sui peuvent mettre en danger la vie de leur enfant par exemple. Ce sont des femmes qui sont fragilisées, qui ont de gros soucis et elles ont du mal à s’occuper de leur enfant. Elles ont déjà du mal à s’occuper d’elles-mêmes. Ce n’est pas pour ça qu’elles n’aiment pas leur enfant mais là elles ont beaucoup trop de difficultés pour faire face à d’autres soucis avec un bébé. Dans le meilleur des cas, quelqu’un les aide pour trouver des solutions. Parfois la solution c’est qu’on doive leur enlever leur enfant. Elles peuvent quand même le voir mais le temps qu’elles aient moins de soucis, une autre famille prend soin du bébé. Tu sais c’est ce que fait la maman de Léa. Elle garde des enfants qui ont des soucis dans leur famille. Mais pour toutes ces mères, j’ai de la compassion et de la tristesse. Le pire ce sont les autres.

  • Lesquelles ? je ne comprends pas.

  • Les pires ce sont celles qui ont tout pour être heureuses, qui n’ont pas de souci particulier et qui ont fait un enfant sans penser qu’elles pourraient malgré tout leur faire du mal. Ce sont celles qui ne manquent de rien et qui pourtant rendent malheureux leur enfant. Ce sont celles qui se taisent quand elles savent que leur enfant est en danger. Elles se taisent parce qu’elles disent avoir peur de parler. Certaines mères ne peuvent pas protéger leur enfant, d’autres le peuvent mais ne le font pas. Elles disent avoir peur mais ne pensent pasà la peur dans les yeux de leur enfant. Quand on sait quelque chose, Emma, il faut le dire surtout quelque chose de grave. On ne peut pas le garder pour soi. Et quand c’est son enfant c’est encore pire.

  • Je comprends. C’est comme la mère de Chloé qui lui donne des gifles au centre d’équitation si elle a oublié ses gants ou sa cravache.

  • Voilà. On n’a pas le droit de gifler un enfant. On n’a pas le droit de s’en servir comme d’un punching-ball sous prétexte qu’on est fatigué, qu’on a mal dormi, qu’on a des problèmes d’argent ou des soucis à son travail. Non on ne frappe jamais un enfant. Voilà tout. Sinon c’est illégal.

  • Ah bon !?

  • Bien sûr et heureusement. On n’a pas le droit de frapper un enfant et qui que ce soit d’ailleurs. Et tu sais ma chérie, on n’a pas le droit de se taire non plus si on sait qu’un enfant est battu.

  • C’est-à-dire ?

  • Ça veut dire que quand on sait qu’un enfant est battu, maltraité, malheureux, on a l’obligation de le dire, à la police par exemple. Si on sait qu’un enfant est en danger, il faut alerter la police. Après il y a une enquête pour voir si c’est vrai. Mais si on ne le fait pas, on est comme complice du mal qui est fait à l’enfant. Et s’il arrive quoi que ce soit, un malheur, on peut être poursuivi en justice pour non-assistance à personne en danger. Ça veut dire qu’on a par notre silence, pas protégé l’enfant alors qu’on aurait pu le faire.

  • Tu dis ça comme si ça te touchait de près. Pourquoi tu as l’air si concernée ? Raconte-moi. Je suis sûre que ça a un rapport avec papa et maman et Elisa. Je sais qu’il s’est passé quelque chose de grave et que personne ne veut rien me dire. Raconte-moi silteplait.

  • Emma tu as raison. Je ne trouve pas d’excuses à ces femmes-là car j’en connais au moins deux. Je vais tout te raconter, je te le promets et très bientôt. Mais en attendant, je te propose d’aller nous promener et ensuite je t’emmène à la pizzeria Via Domitia, la meilleure du coin. D’accord ?

  • D’accord mais tu me promets de tout me raconter ?

  • Oui je te promets mon ange. »

Je vois alors l’image de Pauline, tremblante et hystérique, expliquant au tribunal qu’elle savait pour Elisa, depuis des années, mais qu’elle n’a pas osé parler de peur de divorcer et de tout perdre.

A elle aussi, je ne lui pardonnerai jamais.


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