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Pauvre bête !


Mes larmes ont beaucoup coulé sur le chemin retour entre Barcelone et Vinassan. Je suis malheureuse à en crever, je suis malheureuse de l’aimer tant et de ne pas pouvoir le garder.


Je suis déchirée entre Axel et Elisa, entre l’amour et la haine. Mais je dois quitter Axel pour me consacrer à ma mission et venger Elisa. J’ai le cœur lourd car je ne sais pas si je le reverrai un jour, si le temps va me le permettre. Je vais devoir disparaitre et Axel sera inéluctablement loin de moi. Je dois l’accepter. Tout cela est de ma faute. Il ne me pardonnerait jamais mes folies. Je ne peux pas lui demander de comprendre et encore moins de m’excuser.


Seule, je poursuis mon bushido, la voie du guerrier en japonais. Je suis une samouraï moderne et fidèle à mes valeurs et mes principes.

Tel un Daïku, un chef samouraï de l’époque Edo, je vis avec une armure solide. Axel ne peut se douter que c’est lorsque nous avons fait ce voyage étudiant dans le cadre de la bourse annuelle avec l’école Esmod à Tokyo que j’ai scénarisé l’ensemble de mes crimes et de mon personnage.


Je n’ai pas pu à Orcières enfiler mon plus beau costume pour tuer cette saloperie de Gisela mais le prochain sous ma lame pourra admirer mon tanko, mon armure à plastron, que j’ai cousu point par point. Léger, tout en cuir, il se ferme par devant laissant mes petits seins tout juste soutenus entre les rubans de cuir qui me serviront à étrangler, d’abord doucement, mes prochaines victimes. Axel m’a souvent serré le cou pendant qu’il me faisait l’amour ; c’est une technique classique pour atteindre le maximum de jouissance. Mais pour mes proies, l’extase n’est pas pour celui qu’on croit.


Mes larmes séchées, je reste à peine une heure chez papa et maman à Vinassan pour récupérer le seul qui sait tout, mon petit amour Yasuke. J’ai mis un point d’honneur à partager les plus sombres actions avec quelqu’un qui ne pourra jamais en parler donc mon gros chat. Après chaque meurtre ou tentative, on s’allonge sur notre lit et je lui lis mes écrits, lui raconte ce que j’ai fait ou ce que je vais faire.


Déjà trois chapitres dans mon carnet où je consigne mes aventures criminelles. Par deux fois, je n’ai pas pu tuer mes victimes. La peur m’a envahie. Deux tentatives de meurtres sans succès. Yasuke sait qu’à chaque fois, j’ai su que je n’arriverai pas à contrôler mes gestes et j’ai été tétanisée de faire des erreurs qui dans un autre temps m’auraient conduit à l’échafaud. Alors je me suis arrêtée à temps, à temps pour m’enfuir et ne laisser aucune trace de mon passage. Les deux corps gisant au sol mais les secours que j’ai appelés ont très vite pris le relai et ont sauvé ces deux âmes qui de toute façon trouveront la mort au bout d’un chemin.


En attendant mon petit amour tout poilu et moi-même roulons pour retrouver nos pénates. Cette semaine qui commence va être l’occasion de profiter d’une fin de mois de juillet sous les cieux parisiens, en essayant d’oublier Axel. J’ai du travail cette semaine car il va falloir tout écrire, me renseigner aussi et faire preuve de malice et d’intelligence pour préparer au mieux les semaines à venir.


Mme Micha m’a demandé de venir mardi soir pour travailler au club. Normalement le club est fermé le mardi comme les musées en France. Après tout, venir voir des jeunes femmes s’effeuiller sur des estrades sans pouvoir y toucher, c’est comme admirer une œuvre d’art sans avoir le droit d’y poser le moindre doigt. Oui l’idée me plait bien. Nous sommes les œuvres d’art des nuits parisiennes. On paye pour nous voir et pas pour nous toucher.


Mais mardi soir, le club est privatisé pour quelques clients privilégiés et cela n’a plus rien à voir avec un musée. Sous le sceau de l’hypocrisie d’une législation française qui n’interdit pas la prostitution mais les clients, nous jouons les hôtesses. L’argent ne passe jamais par nous mais à l’entrée les clients payent plus cher et la bouteille de champagne devient un luxe pour qui ne fait pas partie de la haute société. Après au final, c’est comme une boite échangiste classique, sauf qu’à la fin on a une enveloppe un peu plus conséquente.


Mme Micha m’a fait savoir qu’un couple avait demandé à ce que je sois présente. La femme m’apprécie particulièrement et on avait fait quelques folies toutes les deux il y a quelques mois sous les yeux de son mari voyeur.


3h14 … je libère Yasuke de sa maudite prison de plastique pour la route et la première chose qu’il fait en arrivant à la maison c’est de s’étendre de tout son long et de faire ses griffes sur le tapis d’entrée. Quant à moi, je suis exténuée et après avoir enfilé mon douillet pyjama, je ne tarde pas à m’endormir.


Au petit matin, je retrouve la grosse boule de poils sur l’oreiller d’à côté dormant à gros ronrons. Il semble que je me lève trop tôt puisqu’il ne se décide pas à se lever.


Première mission du jour : appeler le numéro vert que je garde précieusement dans mon carnet depuis plus de deux semaines.


« Annie, à votre service. Que puis-je faire pour vous ?

  • Bonjour Madame. Je me permets de vous appeler car lors de mon départ en vacances j’ai croisé un de vos commerciaux sur la route. Il a gentiment rattrapé mon chien qui s’était échappé sur l’aire d’autoroute. Ma fille en a été très émue et me tanne pour lui envoyer un dessin de remerciements. Notre chien c’est beaucoup pour nous. Mon mari a noté la plaque d’immatriculation. Est-ce qu’il serait possible que vous me donniez ses coordonnées ?

  • Je prends en note votre demande Madame. Ne quittez pas, je vais demander à mon responsable. »


Quelques minutes de silence puis au téléphone une voix d’homme :


« Oui bonjour madame. Monsieur Prileau à l’appareil. Je suis désolé mais nous ne pouvons pas accéder à votre demande. Nous ne sommes pas en mesure de connaitre les plaques d’immatriculation de nos collaborateurs.

  • Je comprends parfaitement monsieur. C’est vraiment dommage. Ma petite va être déçue. Vous savez votre collègue a sauvé mon chien d’une mort certaine sur cette autoroute. Il est rare de voir des héros dans notre monde aujourd’hui. Il a pris beaucoup de risque entre les voitures. Je peux attendre un petit peu et vous pourriez me rappeler. On aimerait à notre tour faire une bonne action. J’ai la description physique du monsieur, l’heure, la date et le lieu exacts où cela s’est produit. Et aussi le numéro de la plaque d’immatriculation. On devrait pouvoir retrouver votre collègue héros. »


Un silence et une satisfaction


« Bien sûr Madame je comprends. Vous avez raison. Il sera heureux d’être gratifié pour son acte de bravoure. Je vous propose de faire quelques recherches et de vous rappeler. Pourriez-vous me donner vos coordonnées et l’identification de la plaque d’immatriculation ?

  • Oh merci beaucoup M. Prileau. Merci pour ma fille. Elle va être heureuse. Je suis Mme Casal Lucie et mon numéro est le suivant. »


Après avoir égrené lentement le numéro de la plaque d’immatriculation et de mon téléphone, je salue ce nouvel acteur de ma scène de théâtre qui devient de fait une pièce maitresse puisque sans le savoir il me donne des indices précieux. J’espère qu’il va me rappeler vite.


Depuis quelques mois déjà, pour mener à bien ma double vie, j’ai acheté une simple carte SIM et un téléphone premier prix, sans abonnement ni carte d’identité et donc ne laissant aucune trace.


Lucie Casal … je trouve cela vraiment très drôle cette capacité que je peux avoir à inventer spontanément des personnages. Les plus connaisseurs auront reconnu le nom francisé de Luz Casal, la magnifique chanteuse espagnole qui a sublimé un des films d’Almodovar avec son « Piensa en mi » qui tord le cœur.


« Piensa en mi » …. « Pense à moi » …. Oui, toi « XT 392 BO », pense à moi …. Je goûte déjà la saveur de mes mains sur ton cou.


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