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Démasqués ...



Pagoda … C’est le titre de la pièce. Installée confortablement dans l’auditorium de la Maison de la culture du Japon, je suis submergée d’émotions …


Je suis passionnée par le théâtre japonais et plus particulièrement par le théâtre Nô. Cet art traditionnel japonais est extrêmement codifié et explore les travers de l’âme humaine. Ce qui me plait le plus c’est l’utilisation de masques tout au long des saynètes. L’inexpressivité des visages donne aux mouvements, aux costumes et aux accompagnements musicaux toute leur intensité.


Cette forme de théâtre est l’aboutissement de ce que le sociologue Goffman écrivait. Il se représentait la vie comme une scène de théâtre géante, où nous jouons plusieurs fois par jour des rôles différents. Nous ne sommes que des personnages qui endossons des costumes et des masques.


Je retrouve dans le Nô ma philosophie quotidienne. Celle de la théâtralisation de notre vie que j’ai poussée à son paroxysme en devenant souvent une autre pour venir à mes fins. Mais quand je n’ai plus de masque, que je suis seule et face à moi, je sais qui je suis. Rares sont les moments où je suis à nue, où je suis juste Lisa à savoir une jeune femme de vingt-quatre ans, esseulée, triste, mélancolique, amoureuse et à la dérive.

Justement les deux personnages de cette pièce, le Shite et le Waki, sont à la dérive. Il s’appelle Aïko ce qui veut dire enfant de l’amour et elle s’appelle Amasa, douceur en japonais. Aïko et Amasa n’auraient jamais dû se rencontrer. Lui est fils d’un notable à Tokyo et elle est fille d’un pêcheur.


Pendant une soirée arrosée avec ses amis lycéens, le jeune homme a insulté des agents de police sur la voie publique, près de la station d’Ikebukuro. Il a passé la nuit en cellule au poste et depuis il est l’opprobre de sa famille. Son père lui a imposé de retrouver l’honneur perdu et de se consacrer à des œuvres caritatives.


A la suite du choc après le tsunami, le pays a pris la mesure de la détresse des pêcheurs qui ont tout perdu.


Atsuo, l’époux fidèle en japonais, le père d’Aîko, lui a donc intimé l’ordre de passer les deux semaines de vacances dans la zone sinistrée de Kamaishi, au bord de l’Océan Pacifique. Là-bas, avec une association humanitaire, il découvre le fait de dormir dans une cahute ce qui lui change de sa confortable chambre tokyoïte. Ici plus de connexion internet depuis des mois.


Il a été accueilli par Taizo Kimura, éleveur de coquilles Saint-Jacques et d'algues wakame. Il a perdu une fille dans la vague géante qui s’est abattue sur le port. Sa femme est décédée de chagrin quelques temps après. Il vit aujourd’hui seul avec sa fille Amasa, qui a dix-sept ans et qui veille avec douceur, tel que son prénom l’indique, sur son père courageux.


Le masque choisi pour évoquer la douleur du père et de sa fille est particulièrement bien réussi et la musique lancinante subliment la pièce et la détresse. Aïko, quant à lui, est représenté par un masque très clair, avec peu de maquillage, peu de fard, comme si son visage ne se construit pas encore, telle une fin d’adolescence qui entre dans le monde dur de l’adulte. Le masque est volontairement inexpressif pour permettre au fur et à mesure de la pièce de lui donner mille sentiments : celui de la révolte, de la douleur, du combat et de la passion amoureuse.


Je suis émue aux larmes de voir cet amour éclore ; cet amour vécu comme impudique car construit sur des ruines et sur un drame. Jamais le spectateur imagine un baiser, jamais on imagine une caresse. On ne voit que des cœurs qui s’étreignent et qui souffrent. La scène finale est allégorique : un radeau avec Aïko et Amasa, engloutis main dans la main par un autre tsunami.



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