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Un sacré coup de fourchette


Je suis partie mardi soir et on est déjà mercredi matin. Il est 4h24 et je rentre enfin à la maison. Je dépose dans ma boite à secrets les 3500 euros que m’a donnés Mme Micha. Je ne regrette pas cette soirée. En plus d’avoir enrichi ma cagnotte, Tina et Jimmy, deux riches américains souvent en goguette sur Paris, ont eu raison de demander à passer la nuit avec moi. Ils ont été délicieux au sens propre comme au sens figuré.

Je crois même qu’à un moment, avec elle bien sûr, j’ai pris un réel plaisir sans que celui-ci soit feint. Elle a les mains d’une rare douceur et une peau délicatement parfumée.

Dans deux jours, je prends le train pour rejoindre si chère à Nougaro. Toulouse la rebelle, Toulouse la Rose, Toulouse la Belle. Il me reste deux jours pour peaufiner mon plan. Il ne faut pas que j’oublie d’aller chercher mes billets de train.

Je suis réveillée par la sonnerie de portable. L’officiel, celui de la vraie Lisa. Un numéro qui commence par 05 …. Tiens donc….

« Allo !

  • Oui bonjour. Excusez-moi de vous déranger, j’aurais souhaité parler à Mme Beaver silvouplait ?

  • Oui c’est moi-même.

  • Bonjour madame. Je suis Caroline, la sœur de Pauline Léna. Vous avez prévu de passer la voir à Toulouse ce dimanche.

  • Oui bonjour Mme Léna. Tout à fait. Vous allez bien ?

  • Oui je vous remercie. Mais je vous appelle à propos de Pauline.

  • Je vous écoute. Rien de grave ?

  • Si plutôt. C’est pour cela que je me permets de vous appeler. Elle a agressé une autre patiente à la clinique pendant le diner hier soir. Elle lui a planté une fourchette dans la cuisse. L’autre patiente n’a pas beaucoup de séquelles mais ma sœur a été placée à l’isolement et ne peut recevoir de visite dans l’immédiat.

  • Oh mais c’est terrible. Et comment va Pauline ? Sait-on pourquoi elle a fait ça ? On lui avait fait du mal ?

  • Non je dois voir le médecin cette après-midi à 15 heures. Avec mon mari on pense que c’est l’approche de l’anniversaire de la mort de la petite qui la perturbe. Mais on pensait que son nouveau traitement lui convenait.

  • Bon je comprends Mme Léna. Je vous remercie beaucoup de m’avoir prévenue. J’espère qu’elle va aller mieux. Je vous rappellerai si vous le voulez bien dans quelques semaines. J’ai votre numéro de téléphone qui s’est affiché.

  • Oui pas de souci. Pauline est très heureuse de correspondre par lettre avec vous. Vous êtes la seule qui ait gardé contact avec elle depuis sa sortie de prison. Elle vous apprécie beaucoup. Vous êtes la seule à lui écrire. Au plaisir de vous rencontrer Mme Beaver.

  • Pareillement Mme Léna. Excellente fin de journée à vous et je vous souhaite beaucoup de courage.

  • Merci. Au revoir. A bientôt. »

Je réfléchis quelques secondes et me dis, en raccrochant, que même si ma vengeance est quelque peu retardée, Pauline a d’elle-même construit son scénario macabre. Sa folie passagère m’est d’une aide précieuse pour le coup fatal.

Je vais peut-être même rendre service à cette brave Caroline qui veille sur elle.

Je décide de reporter tout mon voyage à Toulouse et d’y revenir tout un week end quand Pauline sera visible et plus calme. J’appelle donc la boite où je devais me produire pour leur annoncer que j’ai un empêchement familial qui m’oblige à annuler. Le patron n’a pas l’air content mais je ne doute pas qu’il trouve rapidement une autre petite minette qui va faire danser les clients samedi soir.

La fin de la semaine sera donc tranquille sans que j’aie quoique ce soit de prévu. Il faut toutefois que je me consacre à l’écriture afin de préparer les semaines à venir. Je dois réfléchir et noter les moindres détails.

Je vais tout de même m’adonner à un de mes plaisirs favoris et réserve une place pour le spectacle de samedi soir à la Maison de la culture du Japon. Ce sont les premiers jours de la représentation de l’école Kita avec la pièce Pagoda et je ne veux pas rater ça.

Je pense à Pauline. Elle aussi a joué un rôle bien avant je ne scénarise ma vie et celles des acteurs de ma pièce de théâtre. Aujourd’hui elle meurt à petit feu dans une clinique psychiatrique où les comprimés et les piqûres ont pour mission de créer un monde artificiel et serein pour les patients et les soignants. L’approche de la psychiatrie en France est une honte pour tout à chacun qui se dit humaniste. Rien ne sert d’être considéré comme le pays des droits de l’homme quand on en considère certains comme des animaux.

Souvent je me suis dit que je ne devrais pas penser à donner le coup fatal à Pauline. Elle a déjà beaucoup souffert, sûrement. La prison a dû être terrible pour celle qui fréquentait la haute bourgeoisie normande, au bras de son mari notable. Et qu’elle ne doit pas être la tristesse de perdre un enfant. Faut-il en plus qu’on soit doublement puni ?

Je crois que c’est un petit cœur d’adolescent qui me dit de la tuer. C’est la main d’Elisa qui symboliquement tiendra la lame du couteau sous son cou. De sa petite main frêle, elle tuera sa propre mère.

Cette mère qui a plaidé la folie devant le juge ; la folie et l’amour comme elle a souvent répété. La folie et l’amour ….. l’amour….la folie…. les amours folles ….le désamour, l’amour pour un fou …

Elle le justifiera ainsi : l’amour d’une folle pour un fou ….


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