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Remords ... ou pas

  • Mélanie
  • 27 oct. 2015
  • 5 min de lecture


Ecrire cette lettre à Lisa a été beaucoup plus difficile que ce que j’aurais pensé. J’ai relu des dizaines de fois la lettre qu’Elisa a écrite pour moi. Je la garde précieusement dans ma boite à secrets dans mon appartement.


Ce mois de septembre 2015 est d’humeur morose. D’abord l’actualité internationale, avec la terrible photo du petit Aylan, 3 ans, pantalon bleu et t-shirt rouge, dont le corps a été retrouvé sur une plage turque. Puis à titre personnel, je ressens un grand vide depuis la mort de Pierre. C’est comme si ma lame sur sa gorge avait impliqué beaucoup plus. Il faut que mon activité de meurtrière s’arrête vite car je pense désormais aux conséquences de mes actes et je n’aime pas cela.


Le journal local, le Maine Libre, a fait un article sur ce mystérieux meurtre dans un hôtel manceau. Le titre était « Hôtel Hermès. Meurtre sado-masochiste ». Le journaliste, un certain Louis Pierrat, fait mention de la victime retrouvée la gorge tranchée, poignets liés à un fauteuil et encagoulé de cuir. L’enquête est confiée aux services de la gendarmerie du Mans. Selon les premières constatations, aucune empreinte n’a été retrouvée et le tueur a nettoyé consciencieusement la scène de crime. L’autopsie a révélé un fort taux de poison dans le corps de la victime. Les collègues de Pierre et le personnel de l’hôtel affirment que sa femme, Isabelle était présente au Mans. Pierre a dit à ses collègues qu’il souhaitait remonter dans sa chambre pas trop tard car sa femme l’y attendait et les réceptionnistes sont formels : ils l’ont reconnue sur les photos montrées par les enquêteurs.


Isabelle Tramayre a été entendue mais elle affirme avoir passé la soirée seule. Toutefois, comme le précise le journaliste, de fortes présomptions pèsent sur elle, notamment car elle avait appris depuis peu les infidélités de son mari. Elle reste libre mais doit rester à la disposition des enquêteurs.


C’est en lisant l’article de journal que j’ai ressenti, à nouveau, des remords. Enfin des remords non, je ne sais pas … mais des pensées qui m’amènent à des résipiscences. Comme je pensais pendant les vacances à la petite Constanz retournée en Allemagne sans sa mère, je pense aujourd’hui à Léo et Lucas, orphelin de père et avec une mère bientôt derrière les barreaux.


Quand je me suis lancée dans cette folle course à la vengeance, je ne pensais pas aux victimes collatérales. J’aimerais bien discuter avec d’autres meurtriers pour savoir si eux aussi éprouvent parfois de la compassion pour les parents, frères, sœurs, enfants proches de leur victime. Je ne suis pas sûre qu’il existe un club des meurtriers anonymes … Avec des témoignages du genre « je suis abstinent depuis deux semaines, je n’ai tué personne. » Pourtant, ça me serait utile, j’aurais pleins de questions à poser !


En attendant, je me suis replongée dans mes études et j’ai passé deux jours cette semaine avec Solène pour lui faire réviser sa soutenance de mémoire. Je me suis remise à ma passion et ai cousu point par point à la main avec de la vieille dentelle une robe pour demoiselle d’honneur qui trône maintenant sur mon mannequin en en bois à la maison. Yasuke aime à y frotter ses moustaches.


J’écris actuellement la dernière partie de mon dossier de recherche qui conclue mes cinq années d’études. J’ai choisi comme thème « Dentelles et émancipations féminines du 16ème siècle à nos jours ».


Je me suis toujours prise de passion pour ces femmes qui vendent leurs charmes, la plupart du temps sous la contrainte. Elles n’ont pas d’autres atouts que leurs corps et leur frivolité est soumise au regard des hommes qui avant tout se porte sur leurs dessous. Les tenancières étaient des matonnes et les prostituées dans les maisons closes des prisonnières. Ainsi tout se payait et avant tout les petits plaisirs comme les cigarettes, les corsets et les bas. Les friponnes s’habillaient pour mieux être déshabillées.


A toutes les époques, les vêtements féminins n’ont été que le reflet de leur condition. Quand la Cour d’Espagne décide au dix-septième siècle que les femmes devront porter un jupon rigide et conique que l’on appelle un vertugadin, des milliers de femmes sont mortes d’étouffement tant le cerceau en fer leur comprimait les côtes.


D’ailleurs seuls les hommes jusqu’au dix-huitième avaient le privilège de créer les corsets et l’image est intéressante puisque les corsets étaient par essence pour corseter les femmes au sens premier, du point de vue de la mode vestimentaire mais aussi pour les contenir dans leur rôle de meuble d’appoint dans une maison cossue.


Le siècle dernier est celui de la libération des femmes et ce à plusieurs titres. Et c’est aussi le siècle des technologies : le latex et le nylon ont changé les habitudes féminines et ont commencé à sublimer leurs seins et leurs jambes. La lingerie devient non plus un seul objet de désir mais un objet du quotidien qui doit avant tout être pratique.


La dernière partie de mon dossier est consacrée à une femme que j’admire beaucoup en la personne de Chantal Thomass et de ses créations artistiques, tout en dentelle de Calais. J’adore son travail, son amour pour les femmes mais aussi pour les hommes. Elle sait allier les plaisirs et la beauté des corps. Je trouve ces œuvres absolument remarquables. Ce n’est pas tant le côté sexuel qui est donné à sa lingerie qui me plait que la finesse des détails, que le travail d’orfèvre fait par les petites mains dans les ateliers parisiens et calaisiens.




La fin de l’année qui ne va durer que quelques semaines va être déterminante pour préparer la fin de mon aventure dans cette vie que je déteste. J’ai beaucoup de choses à préparer d’ici là. D’abord, achever mes missions pour mieux continuer à venger Elisa. Et ensuite préparer mon départ définitif et prendre soin avant de partir de ceux que j’aime.


Il faudrait que je vois une dernière fois papa et maman avant de partir quand Emma part chez sa copine pour les vacances de la Toussaint. Il faut aussi que j’organise ma rencontre finale seule avec maman. J’hésite à revoir Axel. Je crois que cela va me faire beaucoup de mal et j’ai peur que ma passion pour lui ne me donne pas le courage d’aller jusqu’au bout de ma mission. Axel est le seul aujourd’hui qui pourrait me détourner de mon issue fatale. Il y a des matins où je me vois vivre à Barcelone avec lui et construire notre famille. Et puis il y a tous les autres matins où je veux voir le sang couler encore et encore.


Je me demande comment Yasuke va réagir, comment il va pouvoir apprécier tant de changements. J’ai toujours pensé que je ne pouvais pas vivre sans lui et je ne pourrais pas vivre sans lui. Il va devoir partir avec moi.


Je sens qu’en ce moment, au-delà du départ, je me sens triste et malheureuse. Je n’arrête pas de penser aux enfants. Emma bientôt, Constanz il y a peu et maintenant Léo et Lucas… Comment faire …. ? Est-ce que je les protège ? Est-ce que je les condamne moi-même ? Qui suis-je pour agir à leur place ? Que vont-ils devenir ? Autant de questions insolvables qui tournent et retournent dans ma tête …. C’est peut-être cela que l’on appelle la culpabilité. Une chose est sûre …. Il y a des semaines, j’arrivais à me regarder dans le miroir, à soutenir mon regard et à me sentir fière de ce que j’ai fait. Aujourd’hui je me fuis, je fuis mon corps, je fuis mon regard, je fuis mon âme que j’ai semble-t-il souillée. Je revois ce petit garçon heureux de courir sur un terrain de foot sans que son père ne pose un regard sur lui. Et je me déteste. Mais je revois aussi les bras et les jambes de Constanz couverts de bleus. Et je m’aime.


Ma première vie ne doit pas s’arrêter sur un échec. Le combat et la vengeance doivent rester mes valeurs. Allez Lisa…. ne pense plus aux enfants …. Pense à chaque gouttelette de sang qui nettoie le monde de cette pourriture obscène qui piétine la pureté des enfants.


 
 
 
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