Les traboules de Lyon
- Mélanie
- 5 nov. 2015
- 5 min de lecture

Jeudi 1er octobre
Le train est presque vide. Il faut dire que les vacances n’ont pas encore commencé et nous sommes en pleine après-midi. Dans deux heures, je serai à Lyon. Je suis toujours aussi fascinée de me dire qu’en deux heures de temps je fais un bond géographique vers le début des Alpes. Les lignes TGV sont construites de telle façon que le paysage est lancinant, fade et sans saveur. Des plaines, des plaines, des plaines. On constate en quelques voyages TGV combien l’Hexagone reste un pays rural et verdoyant.
Même la gare TGV de Le Creusot sur la ligne Paris- Lyon semble être un champignon géant au milieu d’un désert. Ici pas de magasin, de bar, de flânerie possible. Non, juste une enceinte de béton destinée à engloutir des voyageurs se rendant dans différentes contrées. Je profite de ce court voyage pour écrire encore et toujours le scénario des prochaines semaines. Il ne faut oublier aucun détail ; aucune erreur ne sera possible. Mon activité nocturne sur Lyon fait d’ailleurs partie de mon plan. J’ai besoin d’argent frais pour mener à bien mon projet.
J’ai rendez-vous à 18h sur le parvis de la Gare de Lyon Part Dieu avec Maddie. Ce soir on fait un show toutes les deux au « Sans complexes ». C’est une soirée privée donc ça devrait être sympa. Maddie connait bien les clients ; elle s’est déshabillée plusieurs fois ici. Elle m’a promis que je m’amuserai.
Et puis mille-deux-cent euros pour 6 heures d’effeuillage et de parties de jambes en l’air, ça vaut le coup. La soirée ne commence qu’à minuit ce qui va nous laisser le temps avec Maddie de nous balader un petit peu.
Comme convenu, elle est là. Toujours aussi jolie mais portant définitivement la misère dans les yeux. Elle me sert fort dans ses bras. Je crois qu’elle est rassurée que je sois là. Le patron de la boite a une solide réputation dans le métier. Il a surtout la réputation d’être un vrai salaud. Souvent il annonce un prix aux filles avant qu’elles viennent et puis après la prestation, il leur dit qu’elles ont mal compris. Mais comment faire ? Dans le milieu pas de contrat… Maddie n’a pas osé réclamer son dû à plusieurs reprises, de peur qu’il ne la rappelle plus. Et elle a trop besoin de cette manne d’argent. Les passes qu’elle fait plusieurs fois par semaine dans le bois de Boulogne ne lui permettent pas de vivre décemment.
Le patron, un ex chef d’entreprise véreux en Afrique Noire, est revenu en France il y a cinq ans, après avoir vu sa maison partir en fumée par ceux qu’il avait blousés. Là-bas, pour lui, la justice ne s’est pas faite devant un tribunal. Il a pris ses deux gosses sous le bras, a laissé là-bas ses maitresses du moment, toutes africaines, jamais plus de vingt ans voire même souvent mineures, et a déguerpi du jour au lendemain.
On dit de lui que là-bas il avait monté une agence de rencontres entre français et sénégalaises. Il s’avérait qu’en réalité il ne jouait pas les entremetteurs ; il prenait les filles pour les sortir du trottoir et les vendre à de riches blancs qui pouvaient ensuite en disposer tel du bétail. Elles n’étaient pas marquées au fer comme les mafias de l’Est de l’Europe font mais il a dû y penser ce salopard. Mais là où il s’est planté c’est que parmi les filles qu’il avait été cherché sur le trottoir, il avait pris la sœur d’un des grands macs du coin et ça ne lui a pas été pardonné. Les filles représentent une marchandise qui rapporte beaucoup et si en plus on touche à la famille ….. !
Dès qu’il est arrivé en France, il a ouvert ce club sur Lyon et aujourd’hui ses petites affaires fleurissent. Mais il a tendance à manquer de respect aux filles, parfois à lever la main sur elles, voire leur mettre des roustes. Maddie s’en méfie beaucoup et n’ose pas s’interposer. Il connait parfaitement la situation des filles. Au début, il se présente comme un sauveur, l’homme à qui on confie ses soucis et son histoire souvent cabossée. Ce qui lui permet d’avoir une réelle emprise sur les filles. Elle sait que je ne me laisserais pas faire s’il refuse de nous donner ce qu’il nous doit.
On passe donc au Club pour y déposer nos affaires. Le patron n’est pas encore arrivé. On ne croise que le barman et une femme de ménage qui est en train d’astiquer les canapés en plastique où des dizaines de paires de fesses vont s’asseoir ce soir. Maddie me fait faire le tour des lieux. Il y a une grande piste de danse et en bas huit chambres pour avoir plus d’intimité. Il y a même un jacuzzi pour ceux qui aiment avoir les pieds dans l’eau.
On pose nos sacs et hop nous voilà sur la place Bellecour. Il fait déjà presque nuit et la place est illuminée. On dit d’elle que c’est une des plus belles places d’Europe mais il faut avouer que c’est absolument magnifique. Maddie est venue plusieurs fois à Lyon et j’ai même compris à demi-mots qu'elle avait vécu quelques temps dans la rue ici.
On n’a pas beaucoup de temps pour apprécier cette si jolie ville mais moi qui ne suis jamais venue, je m’extasie devant la Basilique Notre Dame de Fourvière qui surplombe la ville et qui parée de mille feux, donne une atmosphère de ville forteresse, sous les cieux divins. Maddie m’emmène dans un petit bouchon lyonnais qu’elle connait bien où on y mange correctement et où l’addition n’est pas trop salée.
A table elle me raconte qu’elle va devoir sûrement quitter Paris parce qu’elle doit plein de fric à plusieurs dealers. Elle n’arrive pas à décrocher de la dope et en même temps n’a plus de fric pour se permettre le luxe de se shooter comme elle l’entend. Comme tant d’autres, elle s’est fait des shoots de Subutex qu’elle a eu auprès de la permanence de la Croix Rouge en jurant qu’elle allait arrêter et qu’elle avait besoin d’un programme de substitution. Mais cela ne marche que quelques fois et après on est bien obligé de revenir à sa dose quotidienne d’héroïne. Elle ne m’a jamais demandé de fric. Je lui en propose mais elle n’en veut pas. Elle me dit qu’elle peut baiser les dealers mais pas moi. Elle ne veut pas me devoir quoique ce soit et me dit qu’elle va aller au vert quelques temps chez une copine qui habite en Bretagne avec ses gosses et qu’elle va tenter de reprendre une vie normale.
J’ai pas rencontré beaucoup de camés dans ma vie, mais j’ai l’impression que ce discours est celui qu’on voit dans les reportages qui leur sont consacrés.
En attendant, on se raconte nos dernières semaines. Enfin, surtout mes dernières semaines. Hormis ma petite escapade au Mans, je lui raconte ce que j’ai fait avec mes parents et ma petite sœur. Elle me dit que j’ai beaucoup de chance d’avoir une famille aimante. Je lui réponds, qu’en effet, je ne dois pas mesurer la chance que j’ai.
Maddie se sent vraiment seule je pense et elle se raccroche à toutes les branches qui passent près d’elle pour pouvoir respirer un peu. Je pense que c’est la dernière fois que je la vois ce week-end et je pense qu’elle me manquera. C’est une gamine qui aurait surement mérité une autre vie, un autre destin et qui a dû souffrir elle aussi depuis petite.
Après une petite tartelette citron meringuée, on décide de filer vers le club pour se préparer tranquillement. Mais Maddie veut absolument me faire passer sur la passerelle du Palais de Justice pour me faire admirer les colonnes majestueuses de la Cour d’Appel. Et je la remercie parce que j’avoue que cette ville est pleine de charme entourée de bâtiments somptueux dont je ne connais pas l’histoire mais qui m’enchantent. Je ne pense pas avoir l’occasion de revenir et cela est bien dommage.
Espérons que cette soirée se termine aussi bien qu’elle a commencé …