Gracier et absoudre ?
- Mélanie
- 22 nov. 2015
- 6 min de lecture

Pauline et moi sommes assises au restaurant attenant à l’hôpital où les familles peuvent venir déjeuner avec leur proche interné ici. Les médicaments font d’elle une personne calme et souriante. Je suis heureuse de la voir mais je sens qu’elle reste très fragile. Son corps semble chétif. Son visage a beaucoup changé et s’est creusé par une alimentation faite de cachetons et de piqûres qui endolorissent les corps et les cœurs. J’ai écrit depuis des semaines le scénario de la chute finale de Pauline.
Pauline va être difficile à tuer car nous ne sommes pas seules et ici comme dans une prison tout est sous contrôle. Je vérifie qu’il n y’ait aucune caméra autour de nous. J’ai étudié depuis des semaines le plan de l’hôpital et du service. On commande chacune le plat du jour. Ici pas d’alcool, des tables réduites au strict minimum et des serveurs qui font office de matons. Pauline me demande ce que je fais comme études, comment s’est passée mon année, qu’est-ce que je veux faire l’année prochaine. Après le repas, nous allons nous promener dans le jardin. Pauline semble vraiment et sincèrement heureuse que je sois là. Nous marchons côte à côte, elle glisse son bras autour du mien et parfois elle pose sa tête sur mon épaule. Rapidement, elle me parle de la prison et de « sa vie d’avant ». Nous nous asseyons sur un banc en pierre au bord du petit cours d’eau qui longe le parc de l’hôpital.
« Pauline. Je peux vous poser une question ?
Je t’écoute Lisa.
Pourquoi êtes-vous allée en prison ?
Je suis allée en prison car je n’ai pas protégé ma fille. J’ai été accusée de ne pas avoir protégé ma fille pendant toutes ces années, de ne pas avoir dénoncé mon mari et donc d’être coupable à mon tour.
Et vous trouvez cela juste ?
Oui je crois que c’est juste. Hubert a violé, violenté et manipulé Elisa pendant des années, sous le même toit que moi. Il ne l’a d’ailleurs jamais fait en dehors de la maison. Ce qui prouve aussi combien mon rôle et ma présence étaient inexistants dans cette maison. Je n’ai jamais rien vu de mes propres yeux mais je le savais, je le savais tout au fond de moi et j’aurais dû la protéger. J’aurais dû le dénoncer.
Et pourquoi vous ne l’avez jamais fait si … vous aviez des doutes ?
Parce que j’ai été égoïste. Parce que je me suis caché la vérité. Mais oui … j’ai surtout été très égoïste. Je n’ai pensé qu’à moi, je le savais et je ne pensais qu’aux conséquences de mes actes, jamais aux actes eux-mêmes. Je me disais que si je dénonçais mon mari, j’allais tout perdre. Et à l’époque ma vie de femme de petit bourgeois était le plus important.
Je comprends …
Oh non Lisa, je ne pense pas que tu puisses comprendre. Je ne pense pas que tu puisses comprendre à quel point j’ai été lâche, à quel point j’ai été la plus immonde des mères en laissant ma fille dans les bras du pire des salauds.
J’ai fait de la prison et je l’ai mérité. Toutes ces années m’ont permis de réfléchir et d’essayer de me reconstruire même si … aujourd’hui ce sont les cachets qui me permettent d’être debout et de ne pas sombrer.
Vous …. Enfin vous ….
Vas-y Lisa demande moi ce que tu as à me dire ? Tu sais j’ai toute confiance en toi. J’ai été trahie … souvent et par ceux que je pensais être mes amis. Mais toi j’ai confiance. Nos lettres échangées m’ont permis de tenir parfois. Si j’osais … je dirais … que ta présence, même à distance m’a réconforté.
Merci. Pour moi aussi, vous écrire a été essentiel. J’avais besoin de parler d’Elisa avec quelqu’un et à la maison personne ne voulait en parler avec moi.
Oui ta mère notamment
Oui et d’ailleurs j’ai une question …
Je t’écoute
C’est un peu délicat mais est-ce que ma mère était au courant de ce qu’il se passait chez vous ?
Non bien sûr que non Lisa. Ta mère n’a rien à voir dans tout cela. Elle ne savait rien. Nous parlions très peu toutes les deux. Sauf pour parler de vous deux qui grandissaient.
Vraiment ? alors je ne comprends pas
Tu ne comprends pas quoi ?
Je ne comprends pas pourquoi maman ne veut plus parler d’Elisa. Plusieurs fois au début je lui ai demandé si elle savait quelque chose. Peut-être qu’elle aussi elle n’a pas osé parler mais elle me disait qu’elle ne savait rien et qu’elle ne voulait pas … Enfin … non …. qu’elle ne voulait plus jamais en parler.
Je pense qu’elle est enfermée dans sa douleur. Elisa faisait un peu partie de votre famille aussi. Tu te souviens quand je suis sortie quand tu m’as envoyé des lettres avec des photos de vous en vacances, à la mer et aussi en train de jouer dans le jardin. Tu te souviens ?
Oui je me souviens
Elisa a partagé beaucoup de choses avec vous. Elle a souvent diné chez vous, fêté des anniversaires etc. Bref beaucoup de souvenirs et je pense que comme nous ta mère est très malheureuse sauf qu’elle … elle l’exprime en s’enfermant dans le silence.
Mais vous ne lui en voulez pas ?
……
Pardon, je n’aurais pas dû vous poser la question ainsi.
Je prie mon Dieu tous les jours et tous les jours j’apprends combien le Pardon est essentiel. J’apprends à me pardonner déjà mais j’apprends aussi à pardonner qui m’auraient offensé.
Et ma mère, elle vous a offensée ?
……….. c’est difficile de le dire ainsi Lisa. Sinon tu sais, je pourrais en vouloir aussi à l’école, au club d’équitation, aux voisins et à tous ceux qui l’ont connus
Oui mais ma mère elle a eu Elisa chez elle pendant des années et pourtant elle n’a jamais rien dit.
Mais elle n’avait pas de raison de voir… comme tant d’autres. je ne crois pas qu’il faille la blâmer. Il faut tous que l’on se soutienne dans la douleur.
Oui peut-être avez-vous raison Pauline. Il ne faut pas se déchirer en souvenir d’Elisa.
Ecoute ne sois pas trop injuste avec ta mère. La seule responsable c’est moi. Si quelqu’un doit payer jusqu’à la fin de ses jours c’est moi. »
Pauline ne sait pas à cet instant que la fin de ses jours arrive bientôt. A aucun moment, elle n’ose me dire ce qu’elle a pourtant écrit dans une de ses lettres et à quel point elle hait ma mère. Je pense qu’elle ne se doute pas que je la hais autant qu’elle.
J’ai longuement hésité avant de décider de tuer Pauline. La justice l’a condamnée à des années de prison et j’aurais pu me dire que la justice citoyenne avait fait le travail punitif avant moi. Mais pour avoir lu et relu, des dizaines de fois, les articles de presse relatifs à la mort d’Elisa, je pense que Pauline reste celle qui est l’instigatrice de la loi du silence. C’est par elle que le démon de la parodie des sentiments et des mensonges est arrivé. La mère qu’elle était ne peut trouver aucune justification pour avoir tué ou plutôt fait tuer sa fille sous ses propres yeux et sa propre maison. Lors des débats au tribunal de Rouen, son avocate a longtemps plaidé la terreur d’une femme qui ayant peur de son mari n’a osé parler. C’est comme si elle n’était que l’épouse de son mari et non plus la mère de fille unique. La description d’un Hubert, manipulateur et pervers narcissique, ne peut justifier que Pauline, femme libre, autonome, indépendante, ayant des relations et de l’éducation, n’ait pu se taire pour garder des conditions de vie bourgeoises qui lui donnait l’illusion d’une vie heureuse.
Certains pourraient trouver des excuses à ces mères… mais moi je n’en trouve aucune. Je ne pardonnerai pas à Pauline qui doit aujourd’hui payer d’avoir abandonné sa fille. Mais aussi de l’avoir maltraité à sa manière. Le silence dans les familles est comme un poison fatal mais indolent, qui s’immisce dans les corps et dans les cœurs jusqu’à détruire les âmes.
C'est la lame de mon couteau dans quelques heures qui va la faire passer de vie à trépas. Son Dieu s'occupera de son âme ... je m'occupe de son corps.